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L’Humanité

Pourquoi pas la tolérance zéro pour ceux qui ruinent le pays ?

Vous avez pris la parole, gardez-la !

par Serge Garde, journaliste

La question de « la » délinquance piège tous les partis, y compris le PCF. Soumis au sentiment d’insécurité - sensation fluctuante donc manipulable -, tous les discours politiques visent à la réduction, voire à l’éradication du crime. La finalité serait de créer une société sans crime. Cette utopie se décline selon deux variantes. À droite, on préconise l’éradication par la « tolérance zéro », la répression implacable et l’exemplarité de peines de plus en plus lourdes. À gauche, on estime que la criminalité est le fruit des injustices et des dysfonctionnements de la société capitaliste. L’abolition de ce système ou sa réforme profonde feraient disparaître les causes des transgressions. Les Soviétiques n’ont-ils pas édulcoré leur Code pénal, estimant que dans leur société « idéale », les incriminations criminelles devenaient superflues... Après l’implosion de l’URSS, les juges se sont retrouvés impuissants face au crime organisé.

Une société a besoin de règles. Chaque règle génère ses transgressions. Or ce sont elles qui, par leur répression, permettent de renforcer les règles. La dialectique crime-répression est facteur de progrès, obligeant la société à réagir, à perfectionner ses lois. D’une certaine façon, la délinquance « fabrique » du droit, des policiers, des juges, des travailleurs sociaux... Penser la société sans crime est une aberration. II n’existerait qu’une seule façon d’éradiquer le crime : en le dépénalisant. Supprimons la fraude fiscale et il n’y aura plus de fraudeurs. Mais alors, une société sans crime ne serait pas une société sans malheurs. Ce serait une société sans valeurs. La répression est indispensable pour sanctionner des actes répréhensibles, mais aussi pour réaffirmer les règles sociales. Mais que doit-on réprimer ? Doit-on dépénaliser la consommation du cannabis ? Supprimer du Code l’abus de biens sociaux ? C’est le regard de la société qui détermine le crime. Sous Vichy, une « faiseuse d’anges » a été guillotinée en 1943. Trente ans plus tard, l’IVG était remboursée par la Sécurité sociale. Il appartient à la société de déterminer les transgressions et de les hiérarchiser.

En fait, chaque société doit gérer « ses » délinquances, qui la reflètent assez fidèlement. Dites-moi quels sont vos crimes et je vous dirai dans quelle société vous vivez ! Une théocratie « fabrique » des sorcières et des hérétiques. Que produit le capitalisme actuel ? Le discours dominant, trop peu contesté, suggère que nous vivons dans une société saine, menacée à ses marges par des minorités : étrangers, clandestins, jeunes non conformes, pauvres envieux... Non seulement ce diagnostic est faux, mais il n’est pas contesté ! Certes, les délinquances d’inadaptation sociale (vols, petits trafics, vandalisme, incivilités...) se développent. Mais c’est uniquement à leur sujet que la droite prône la prétendue tolérance zéro. En fait, elle focalise surtout l’attention, via les médias, sur des « zones sensibles » où vivent les principales victimes de la crise du système. Pourtant, les rares études estimant le coût du crime démontrent que ces sont les délinquances financières qui ruinent le pays. Un temps, le PCF avait senti le problème et argumenté : « De l’argent, il y en a ! », pour satisfaire les besoins sociaux. Mais cette ébauche de réflexion n’a pas été mise en cohérence avec la question des délinquances. Notre pays n’a jamais produit autant de richesses, et les inégalités, les exclusions sociales n’ont jamais atteint une telle ampleur. Où passent ces richesses ? La captation abusive des subventions publiques est devenue un sport patronal. Les normes légales de la gestion deviennent l’exception. Et la tricherie, la règle. La grande majorité des transactions financières passent désormais par des sociétés écrans et des paradis fiscaux. L’entente illicite entre les opérateurs des téléphones portables ne fait qu’allonger une longue liste de scandales financiers (Enron, Worldcom, Eurotunnel, Vivendi...) qui démontrent que le crime n’est pas essentiellement aux marges de notre société, mais en son coeur. Les spéculations éhontées, la ruine des petits porteurs, les délits d’initiés, les fraudes portant sur des millions d’euros sont-ils moins graves que le vol d’un autoradio ? Ce n’est pas un hasard si le MEDEF milite pour une « adaptation » du Code pénal aux « réalités économiques » en supprimant les rares incriminations permettant de mettre en cause des patrons. Le capitalisme actuel n’est plus capable de respecter les règles qu’il avait pourtant établies à son avantage. Le PCF a raison de faire de la lutte contre les paradis fiscaux un objectif de sa politique. Mais cette revendication doit être mise en perspective. Du vaste chantier qui pourrait être ouvert sur ces questions émergeraient vite des propositions. II n’y a aucune fatalité dans cette évolution. Ainsi, les profits de toutes les délinquances (trafics de drogues, d’armes, fraude fiscale, corruption, etc.) aboutissent aux mêmes filières de blanchiment : les circuits bancaires. Prétendre lutter contre le crime sans remettre en question le système bancaire relève de l’hypocrisie. Qui posera enfin le problème en ces termes ? Tant que le discours de droite sera hégémonique en ce domaine, les Sarkozy présents et à venir pourront continuer à instrumentaliser des « minorités » de délinquants pour masquer l’essentiel : la gabegie criminelle de l’ultralibéralisme.

Et si l’on expérimentait la « tolérance zéro » avec ceux qui ruinent le pays, les délinquants en col blanc ?

Le : 27.10.2005
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