POUR UN SYSTEME DE SOINS EQUITABLE, AU SERVICE DE TOUS : MES ONZE PROPOSITIONS AUX FRANÇAIS
1. Décharger le travail et asseoir le financement de notre système de santé sur l’ensemble des revenus.
Pour que les citoyennes et les citoyens soient motivés, les comptes doivent être clairs, et cela commence par la clarté du mode de financement et de l’assiette des recettes de l’assurance-maladie.
Autrefois basées sur les seuls revenus du travail, les cotisations ont progressivement été étendues à l’ensemble des revenus, en particulier ceux du capital, avec l’introduction de la CSG. La part de cotisation salariale restante doit être transférée sur la CSG. Par ailleurs, les cotisations patronales doivent être remplacées par une taxe assise sur la valeur ajoutée des entreprises, ce qui aura pour effet de diminuer les coûts que supportent les entreprises demain d’œuvre.
2. Renforcer le rôle du Parlement dans le pilotage de notre système de santé.
Depuis 1996, le Parlement fixe le budget annuel de l’assurance-maladie. Ce principe est juste : c’est aux représentants du peuple de fixer le volume des dépenses de santé par rapport aux autres postes de dépenses collectives. Mais il faut aller au-delà et dépasser la seule logique budgétaire. Il appartient au Parlement de se prononcer préalablement sur les priorités de santé et de fixer les programmes pluriannuels dans les grands domaines de la maladie, de la prévention, du dépistage. Les Français ont droit à un débat démocratique sur les choix effectués et les priorités de la Nation en ce domaine.
3. Renforcer les moyens et les compétences du Ministère de la Santé.
On l’a constaté ces dernières années à l’occasion des grands dossiers de santé, le Ministère de la Santé manque des moyens nécessaires à la préparation de cette politique nationale, et à l’instruction comme au suivi des priorités que pourrait définir le Parlement. L’amélioration de la santé des Français passe par le renforcement des compétences et des outils mis à sa disposition, dont la responsabilité de son propre budget. Ainsi, il pourra légitimement fixer le cadre de l’action des professionnels de santé et être l’interlocuteur des industriels et des chercheurs qui œuvrent pour notre santé.
4. Étendre le contrôle de la qualité des soins délivrés au patient.
Depuis l’affaire du sang contaminé, le citoyen exige, à juste titre une information de qualité sur les soins qu’on lui prodigue et une sécurité accrue. Chacun a le droit de savoir ce que la médecine peut lui apporter et les risques qu’il encourt. La création des Agences pour l’évaluation et santé et la sécurité sanitaire (ANAES et AFFASAPS) ont été des pas en avant très importants en ce sens. Ces efforts doivent être poursuivis et leurs moyens renforcés. Développer des mécanismes d’évaluation de la qualité des soins dans tous les domaines, en concertation avec les patients et les professionnels de santé, est indispensable. Ceux-ci ne doivent pas y voir des menaces de sanction, mais une aide à l’amélioration de la qualité de leurs actions.
Chaque établissement de soins, chaque professionnel doit être récompensé de ses efforts d’économie de la santé et pour la qualité des soins.
5. Reconnaître l’action des professionnels, et en particulier les médecins et les impliquer dans les décisions.
Le retour à la confiance passe d’abord par une revalorisation des tarifs des consultations, des déplacements à domicile, des soins d’urgence et d’une manière générale de l’ensemble des actes de soins. Le blocage des rémunérations a conduit à l’inflation des actes, démotivante et source de mauvaise qualité des soins. À l’hôpital, des efforts sont à faire pour rémunérer médecins, infirmières et toutes les catégories de personnel au niveau de leurs responsabilités et de leurs compétences. Les revenus des médecins, en ville comme à l’hôpital doivent comporter une part forfaitaire, destinée à rémunérer les missions d’éducation à la santé, de prévention, de dépistage, les prises en charge complexes de malades lourds et graves. Leurs efforts et leur engagement doivent aussi être encouragés en liant une part des revenus à l’activité réelle.
Mais il convient également que l’administration de la santé, à tous les échelons, soit redynamisée par ceux qui ont l’expérience du terrain et du quotidien. Les professionnels doivent systématiquement être intégrés dans les circuits de décision administratifs. Cela peut passer par des nominations, des élections, des concours, des détachements temporaires dans des missions de gestion ou d’organisation des soins.
6. Faire face aux problèmes de démographie des professions de santé.
La France se trouve plongée depuis quelques mois dans une incroyable pénurie d’infirmières qui doit être rapidement corrigée. Dans le même temps, on limite les actes des infirmières de ville ! Où est la logique et la cohérence du système ?
Nous risquons la pénurie de médecins dans certaines disciplines majeures et dans certaines régions. Les dispositions du "numerus clausus" prises dans les années soixante-dix doivent rapidement être reconsidérées. Les besoins de formation des médecins doivent prioritairement être fixés en fonction des besoins sanitaires du pays et non en fonction des seuls besoins de l’hôpital public et de ses filières de formation.
Des encouragements financiers, des aides substantielles doivent être dégagés pour ceux et celles qui choisiront des disciplines ou des régions difficiles. L’association des médecins en cabinet de groupe, la création de " maisons médicales " pour assurer les gardes et urgences et désencombrer les services d’urgence hospitaliers, doivent être encouragées.
7. Moderniser l’hôpital public.
L’hôpital public souffre d’une inertie qui décourage les efforts de ceux qui y sont confrontés aux tâches les plus lourdes. Leur financement ne permet pas suffisamment d’encourager les efforts et de financer les établissements en proportion de leur activité et de la lourdeur de leur mission. Le système du "PMSI", qui codifie les actes et les soins pratiqués est encore trop lent et surtout incompréhensible par les professionnels.
Pour sortir de cette inertie, deux mesures s’imposent :
Le financement des établissements doit distinguer une partie forfaitaire pour les missions générales, une partie indexée sur l’activité réelle.
Les budgets des hôpitaux doivent être déconcentrés au niveau de chaque service ou de chaque filière de soins, et chaque structure doit pouvoir bénéficier du produit de ses efforts tout en étant responsable de ses choix budgétaires. Au sein même des établissements, il doit y avoir la aussi une déconcentration de la gestion qui réunisse soignants et cadres administratifs dans une nouvelle dynamique.
Dans le domaine des équipements lourds, la planification actuelle débouche sur un retard aberrant par rapport à nos voisins européens. Les établissements doivent disposer de davantage de liberté dans leurs choix d’investissements, ce qui leur donnera plus de responsabilité dans la maîtrise des coûts induits : ils auront à assumer les conséquences de leur choix sur la structure de leur budget. Dans notre République, il ne peut y avoir de droits sans devoirs et sans responsabilité. S’équiper davantage pour un hôpital doit impliquer une réflexion sur sa capacité à améliorer l’organisation des soins, la productivité et la qualité globale.
Enfin, et c’est là une question essentielle pour l’avenir, car nous allons manquer de médecins dans les années qui viennent, la répartition des moyens et des structures entre les soins, l’enseignement de la médecine, l’enseignement des autres métiers de la santé doit être repensé. L’organisation des centres hospitaliers universitaires (C.H.U.) date de plus de quarante ans avec la réforme de 1958. Or il y a souvent confusion des moyens d’enseignement et de moyens de soins, au détriment des hôpitaux pourtant les plus proches de la population. Il nous faut des CHU généralisés, plus souples, moins contraignants. L’État doit être garant de la qualité et chargé de la régulation, mais ni gestionnaire, ni acteur. La formation médicale elle-même doit être modernisée, assouplie, enrichie, la formation des généralistes devant être repensée en fonction des spécificités de la profession qu’ils auront à exercer.
8. Assurer l’avenir des Etablissements privés.
Beaucoup d’établissements privés connaissent des difficultés financières réelles en raison de la lourdeur des investissements que réclament les nouvelles technologies et les exigences de sécurité sanitaire. J’observe que certains font le choix de s’adosser à des groupes financiers qui entrent sur le marché boursier. Je l’ai dit, une telle évolution est lourde de conséquences, car elle met les professionnels à la merci de critères de rentabilité immédiate qui menacent gravement l’indépendance d’exercice à laquelle ils sont si légitimement attachés.
Or, les établissements privés jouent un rôle important dans notre pays : ils sont un élément dynamique qui a su démontrer qu’il n’y a pas d’opposition entre une bonne économie de moyens et une bonne qualité des soins, et d’autre part leur rôle dans les soins de proximité est reconnu.
Plusieurs voies s’offrent à nous pour aider les établissements privés à survivre et à se développer. D’abord, leur donner les moyens juridiques de se regrouper dans des formes coopératives, ce qui permet de regrouper les moyens sans perdre chacun son identité. D’autre part, par la coopération généralisée avec le secteur public, sous forme de réseaux, de groupement d’intérêt économique, ou d’autres formules.
Dans le domaine des équipements lourds, l’assouplissement que je souhaite pour les hôpitaux publics vaut également pour les établissements privés.
C’est en définitive à la puissance publique, par les moyens dont elle dispose, à offrir de nouvelles formes de partenariat, équitables et dynamisantes pour tous, afin de donner aux établissements de soins privés tout leur avenir dans notre système de soins.
9. Déconcentrer la gestion du système de santé au niveau des régions.
Le domaine de la santé est complexe, multiforme, les décisions doivent être prises au plus près du terrain. Face à cette réalité, la puissance publique doit sauvegarder et renforcer le principe d’égalité dans l’accès aux soins et à la santé, tout en préservant l’unité nationale de notre système Or, beaucoup de procédures de décision budgétaire, d’attributions d’équipements, d’investissements, sont trop lourdes, trop éloignées du terrain, trop centralisées. C’est pourquoi je propose une déconcentration de la gestion au niveau régional.
Il convient de regrouper sous la responsabilité des Agences Régionales de Santé, réunissant les Caisses d’Assurance-Maladie des différents régimes et les actuelles Agences Régionales de l’Hospitalisation, l’autorisation et le suivi des activités de soins, que ce soient celles des établissements publics et privés, ou que ce soient celles dites "de ville". Il y a là une source de cohérence et de prise en charge globale des patients, qu’ils soient soignés chez eux ou à l’hôpital, qui ont de plus en plus besoin de soins continus avec une bonne coordination des soignants : les réseaux de soins doivent être développés, avec l’appui des Agences.
Ce qui me paraît tout aussi essentiel, c’est qu’une telle déconcentration implique au maximum les professionnels et les usagers. C’est pourquoi à côté des Agences Régionales de Santé, les élus, les professionnels et les représentants des usagers doivent jouer un rôle important dans la définition des priorités régionales, l’Etat, expression de l’intérêt général, conservant la fonction de régulation et d’arbitrage dans les décisions.
10. Repenser le rôle et le fonctionnement de l’Assurance maladie.
La gestion actuelle de l’Assurance-Maladie par ce qu’on a appelé le "paritarisme" entre les syndicats de salariés et les organisations patronales doit être reconsidéré, ne serais-ce que parce que le MEDEF, cohérent avec sa logique de privatisation de la santé ne veut plus y participer. Il faut revoir la composition des conseils d’administrations des caisses en l’élargissant davantage aux professionnels, aux représentants des associations de patients, par exemple. Pour le moyen terme, je pense que l’organisation de l’Assurance Maladie peut encore être simplifiée pour améliorer son fonctionnement. Cela n’empêcherait pas certaines catégories professionnelles de bénéficier de couvertures spéciales pour des risques liés au métier. Tout ceci ne pourra se faire que dans la plus grande concertation avec les partenaires sociaux.
En matière de gestion des dépenses, il convient de clarifier les rôles respectifs de l’Etat et de l’Assurance maladie :
L’Etat fixe le cadre d’action : Il a un rôle de régulation, il définit les critères de répartition de l’offre de soins, de réduction des inégalités, les programmes de santé publique, les priorités de santé. C’est aussi l’Etat qui doit définir, avec les partenaires sociaux, et avec le Parlement le " panier de soins " qu’il entend couvrir. Les Agences Régionales veillent au respect local de ces règles et passent des contrats pluriannuels avec les hôpitaux, les cliniques, et les médecins de ville.
La sécurité sociale a la charge de gérer les fonds mis à sa disposition, de négocier avec les établissements de santé et les professionnels le contenu et la mise en œuvre du panier de soins, au meilleur coût, en fonction de la réalité des besoins de santé de terrain. Elle établit des objectifs de qualité et d’activité avec les offreurs afin d’améliorer leurs performances et leurs coûts, tout en respectant les engagements au service des patients. Elle s’engage de son côté dans l’unification de ses modes de gestion et des règles de remboursement, afin de simplifier les procédures et de réduire les coûts de gestion.
Les traitements démontrés sans efficacité ne doivent plus être remboursés. Les laboratoires qui verraient de ce fait leur activité menacée seront soutenus par l’Etat pour une reconversion. L’hôpital public doit être plus dynamique et mieux organisé. Les réseaux de soins doivent favoriser la coopération de tous, établissements publics et privés, soignants libéraux de ville.
11. Pour une politique dynamique du médicament.
Je suis favorable au développement des médicaments génériques, pour des raisons évidentes de bonne économie de notre système de santé.
Certains industriels estiment que la vente sur le long terme de leur anciennes spécialités leur permet de financer leur effort de recherche et de développement. Cela résulte du fait que les nouvelles molécules sont payées par l’Assurance-Maladie en France à un tarif inférieur à la plupart des autres pays.
Or, l’analyse de la réalité chez nos voisins montre pourtant que les pays où la part des médicamentsgénériques par rapport à la totalité des médicaments vendus représente entre 30 et 40%, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, sont pourtant en tête du nombre des nouveaux médicaments innovants mis sur le marché dans les dernières années.
Il faut donc en réalité fixer des prix justes pour le paiement des nouvelles molécules et soutenir les efforts des industriels dynamiques par un partenariat renforcé avec l’Etat et l’INSERM, y compris dans le domaine de la recherche clinique.
Lorsque j’observe le dynamisme des entreprises de biotechnologie aux Etats-Unis, les fameuses "start-up", il me semble évident que la puissance publique doit réinvestir ce secteur dans une logique de co-investissement et de partenariat privé-public.
Sur ces bases, je suis convaincu que des économies substantielles peuvent être faites, permettant alors aux professionnels de santé d’être correctement rémunérés et à tous les citoyens d’être bien remboursés. C’est dans le respect des principes sur lesquels il est fondé : égalité des droits, resposanbilité de tous, que réside la sauvegarde de notre système de santé solidaire.
Jean-Pierre Chevènement est ancien ministre et président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen.