Nous sommes dans un moment clef de l’évolution des problèmes énergétiques de la planète : tout le monde s’accorde à dire qu’il est désormais évident que nous sommes rentrés dans une période d’énergie rare et chère.
La crise qui se noue autour des combustibles fossiles n’est pas une surprise. Depuis dix ans, les tensions internationales se sont multipliées : tentatives de déstabilisation du Président du Venezuela, Hugo Chavez, interventions militaires américaines au Koweït, en Afghanistan, en Irak...
Toutes ont pour arrière-plan l’accès au pétrole et au gaz.
Mais cette volonté de contrôle des ressources énergétiques ne doit pas faire oublier deux éléments essentiels :
En premier lieu, les ressources en combustibles fossiles sur l’ensemble de la planète sont limitées et ne se renouvelleront pas.
En second lieu, il est juste et logique que des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, pour ne parler que des principaux, aient des besoins énergétiques en croissance importante. Leur consommation par habitant est au niveau de celle que nous avions il y a cinquante ans. On imagine aisément que les besoins énergétiques de la planète vont encore augmenter et c’est une bonne chose pour des milliards d’êtres humains.
La crise actuelle a pour origine la conjonction de ces phénomènes. Il est donc possible que les prix de l’énergie continuent de grimper. Ces prix élevés vont mettre encore plus en difficulté les pays sous-développés : la répartition des gains se fait entre majors du pétrole et pays producteurs avec avantage aux premiers
En matière d’énergie et donc de développement, la seule préoccupation qui vaille est celle de la réponse aux besoins énergétiques d’aujourd’hui et de demain, tant en France, en Europe que dans le monde, avec le nécessaire souci de solidarité entre l’ensemble des habitants de la planète.
Le terme même de solidarité est d’ailleurs un peu réducteur, car il ne rend que partiellement compte de certaines idées associées, à savoir :
Il semble juste que ce soient les pays les plus riches (et dont la richesse s’est construite au détriment des autres et en premier lieu de l’Afrique et de l’Amérique Latine) qui contribuent largement aux efforts nécessaires à la préservation de la planète : l’application du protocole de Kyoto impose des mesures urgentes pour lutter contre le réchauffement climatique.
Une politique énergétique digne de ce nom doit être planétaire. Aujourd’hui, on est -enfin pourrons-nous ajouter- parvenu à comparer les réserves mondiales d’énergies fossiles avec la consommation annuelle mondiale et on voit qu’on court à la catastrophe à l’échéance de 40 ans ou d’un siècle suivant que l’on considère telle ou telle source d’énergies fossiles, les consommations actuelles ou leur évolution prévisible. De même, les conséquences écologiques, financières, de développement sont, elles aussi, mondiales.
Maintenir les déséquilibres actuels entre différents pays ou différentes zones du globe est tout simplement explosif et, autant dire le mot, insupportable. Il ne peut que donner lieu à des affrontements catastrophiques dont la guerre Iran/Irak ou le 11 septembre ne serait qu’un pâle reflet.
C’est donc dire que le devoir de solidarité est particulièrement impérieux avec trois objectifs :
Faire face aux défis du réchauffement de la planète et de la réduction des ressources fossiles.
Réduire les inégalités entre les différents pays ou zones de la planète.
Assurer un effort équitablement réparti et donc plus lourd pour les pays riches que sur les pays pauvres.
Ces exigences, valables sur l’ensemble des enjeux de développement, sont particulièrement prégnantes sur le secteur énergétique.
Quels moyens avons-nous pour y faire face ?
Avancer dans le sens de la maîtrise de la demande (MDE) est indispensable mais cela suppose de se poser la question de l’efficacité réelle de l’économie mondialisée et des coûts sociaux considérables qu’elle engendre. (Les délocalisations, l’étalement urbain, la dessaisonalisation, dégradent considérablement le bilan énergétique mondial)
Reconnaissons également qu’il y a un côté indécent de parler de MDE alors que les deux milliards d’hommes n’ont pas accès à l’électricité et que la consommation d’énergie par habitant d’un tiers de la planète est de l’ordre de celle d’un européen au début du XX° siècle.
Enfin parce que tous les efforts possibles sur le terrain de la MDE, nécessaires à l’avenir de la planète et dans lesquels les pays les plus développés ont un rôle essentiel à jouer, ne dispenseront pas d’une réponse à la question fondamentale : avec quelles sources d’énergie fera-t-on face aux besoins énergétiques immenses de ce siècle ?
Au seuil du XXI° siècle, l’humanité dispose d’une panoplie inégalée de sources d’énergie variées, à des stades de développement différents. Elles ne sont pas concurrentes. Toutes ces sources sont ou seront complémentaires. Il convient de ne pas se tromper sur leurs potentialités respectives et voir où, quand et comment leur utilisation est et sera optimale.
Dans ce contexte, il faut examiner, la question des énergies renouvelables : le solaire reste pour l’instant une source d’énergie confidentielle et il est, au moins pour les prochaines décennies, hors d’atteinte pour régler les problèmes massifs qui vont se poser, ce qui ne veut pas dire d’ailleurs qu’il faille se désintéresser de cette forme d’énergie, bien au contraire.
Quant à l’éolien, autre énergie à combustible gratuit, il semble à peu près certain que les meilleures perspectives envisageables n’aillent pas au-delà de quelques pour cent de l’énergie nécessaire à un pays développé, et ceci sans parler du coût de revient réel. Ici aussi, il s’agit d’une forme d’énergie à ne pas écarter mais qui n’est pas à l’échelle des besoins planétaires du milieu de ce siècle.
Pour l’un comme pour l’autre, leur efficacité et leur développement à l’échelle planétaire passe par un renforcement sensible des efforts de recherche, et par une intégration dans des logiques de long terme, forcément inspirées par des notions d’intérêt collectif, à la fois à l’échelon national et international, et associant les problématiques de formation, y compris pour les pays pauvres.
Le cas de l’hydraulique nécessite un examen plus approfondi. Elle a constitué pour certains pays un élément décisif de leur développement comme en France après guerre ou aux USA. Les réserves dans certaines zones sont très au-dessus des besoins immédiatement prévisibles ; c’est par exemple le cas de l’Afrique Equatoriale. Le cas de l’Asie des Moussons est aussi à considérer. Mais cela nécessite des approches raisonnées en termes d’écologie, de rythme de développement, de financements, d’usage de l’eau.
Mais cette piste là, aussi intéressante soit-elle par endroits, ne peut être utilisée partout, ni suffire aux besoins planétaires qui s’annoncent.
Alors que faire ?
les besoins sont colossaux
le potentiel des Energies Renouvelables est limité
la MDE est insuffisante et indécente pour les plus pauvres
La fusion n’est pas disponible à un avenir prévisible
les réserves d’énergies fossiles ont été plus que largement entamées, et c’est criminel de brûler inconsidérément des ressources non renouvelables alors qu’elles constituent aussi une réserve indispensable de matières premières pour certaines industries
Il faut se rendre à une évidence, camouflée jusqu’à la période actuelle : la seule ressource massivement disponible à un coût raisonnable, techniquement maîtrisée et suffisamment mobilisable, est l’énergie nucléaire.
Il semble bien qu’au stade actuel de développement de l’humanité, il ne soit pas possible de s’en passer dans les prochaines décennies et même qu’il sera sans doute nécessaire d’y recourir d’une façon beaucoup plus massive que dans la période présente.
Les quantités de combustibles existantes sont largement à l’échelle des besoins, en particulier en utilisant les filières dites à neutrons rapides ou le cycle du thorium.
Quelles conditions faut-il respecter pour rendre cette source d’énergie utilisable au plan mondial à la hauteur des besoins futurs de la planète ?
En premier lieu, il faut que cette source d’énergie dispose, dans les pays où elle est utilisée de façon conséquente, d’un capital confiance suffisant. De ce point de vue, il y a dans les pays occidentaux, et notamment en France, un manque à gagner notable. Y remédier passe par l’éradication de risques d’accidents majeurs tels que Tchernobyl, bien entendu, mais aussi Three Miles Island ou Windscale : la mise à un niveau de sûreté élevé de l’ensemble des réacteurs de la planète est donc indispensable.
La problématique des déchets nucléaire joue un rôle très lourd dans le déficit de confiance. L’absence de mise en œuvre concrète de la filière « déchets » -quels qu’en soient le volume et la nocivité- est de moins en moins accepté par l’opinion publique des pays développés. Celle-ci doute de la maîtrise industrielle réelle de cette filière comme de ses perspectives d’aboutissement. En outre, cela accrédite l’idée que le nucléaire n’est pas une industrie mature et cela hypothèque son avenir.
Mais il ne faut pas perdre de vue que l’industrie nucléaire est aussi dépendante de l’opinion qu’en ont ses propres salariés. Et, de ce point de vue, la situation s’est régulièrement dégradée au cours des dernières années où l’aggravation des conditions de travail des salariés, qu’ils soient statutaires ou d’entreprises sous-traitantes va de pair avec restrictions financières et pression accrue pour augmenter à tout prix la disponibilité et aujourd’hui la rentabilité des actionnaires. Outre les conséquences négatives sur la sûreté nucléaire, on ne me sortira pas de l’idée que l’acceptation du nucléaire sera meilleure lorsque les salariés de la filière seront fiers de leur travail, que ce soit autour de la table familiale ou du zinc du bistrot voisin de la centrale.
Mais l’avenir énergétique de la planète ne se joue pas seulement par l’acceptation du nucléaire dans les pays qui l’utilisent aujourd’hui, il se joue surtout -nous l’avons vu- dans la possibilité qu’auront tous les pays du monde d’accéder à une énergie abondante, au juste prix et compatible avec leur niveau de développement et l’évolution de celui-ci.
Car c’est là une des conditions du développement durable.
De ce point de vue, l’énergie nucléaire souffre d’un handicap certain : il s’agit d’une technologie relativement complexe et nécessite des investissements élevés.
Comment aider un maximum de pays à résoudre ce double problème ?
La première piste à emprunter est de réserver le plus possible les ressources "faciles" aux pays les moins à l’aise. Pour cela, il faut donc que les pays développés acceptent de nucléariser davantage leur bouquet énergétique. C’est ce que la France a fait dans les années 70 dans son propre intérêt pour réduire sa facture énergétique. Si cette pratique se généralisait, cela permettrait de "réserver" les combustibles fossiles aux pays qui ne peuvent réellement s’en passer pour espérer accélérer leur développement. Ceci suppose d’ailleurs que les pays développés accélèrent, tant pour leurs propres besoins que pour les pays émergents, la mise au point des filières modernes d’utilisation du charbon : charbon propre, lit fluidisé circulant, supercritique, gazéification in situ, carbochimie...
La deuxième piste consiste à aider les pays émergents à rentrer dans la technologie nucléaire en leur fournissant des machines éprouvées ainsi qu’une aide conséquente en ingénierie, tant de construction que d’exploitation. C’est ce qui s’est fait dans les années 80 avec la Chine, la Corée ou l’Afrique du Sud. Cela doit être possible demain avec d’autres pays et d’autres générations de réacteurs.
Contrairement à beaucoup d’idées reçues, l’exploitation d’une centrale nucléaire dans une filière sûre et éprouvée ne nécessite pas des scientifiques de renommée mondiale mais plutôt des spécialistes, de bon niveau certes, mais surtout qui soient d’excellents professionnels. Ceci suppose une intégration harmonieuse dans le tissu social de leur pays, une reconnaissance sociale adaptée. Et ceci ne peut se résumer à une appréciation mécaniste des pays en fonction de leur PIB global ou par habitant. Des exemples récents viennent de rappeler que la fiabilité de l’aviation civile n’est pas en Argentine au niveau de la puissance économique de ce pays.
Ceci est accessible à beaucoup de pays dès aujourd’hui, pour peu qu’on les y aide. Là aussi, on peut utilement observer ce qui s’est fait en Chine, ou en Afrique du Sud, surtout depuis la fin de l’apartheid.
Nous touchons là un aspect fondamental du développement de la planète : l’accès d’un maximum d’humains à une énergie suffisante et de qualité n’est possible que si ce développement n’est pas une nouvelle occasion de se faire de l’argent sur le dos des pays les plus pauvres. Tant en termes de financement que de formation, leur effort doit être épaulé par les pays aujourd’hui mieux pourvus. Ce n’est qu’un juste retour des choses eu égard aux spoliations dont ils ont été victimes. En même temps, il ne faut pas perdre de vue que c’est aux pays eux-mêmes à se déterminer, à choisir leur rythme de développement en fonction de leurs ressources et originalités et de l’aide à laquelle ils peuvent accéder !
Mais la contribution du nucléaire au développement durable ne peut se résumer à une extension des technologies nucléaires actuellement éprouvées à un plus grand nombre de pays.
Cela passe aussi par la mise au point d’autres types de réacteurs, peut-être plus petits, peut-être plus rustiques, en un mot mieux adaptés à d’autres modes d’utilisation que les grands réseaux électriques des pays les plus développés. On peut imaginer des réacteurs couplés à des usines de fabrication d’hydrogène carburant ou de dessalement d’’eau de mer.
Il appartient à la société d’être visionnaires en matière technique. Mais ce qui est sûr, c’est que tout cela passe par un effort de recherche dans et autour du nucléaire hors de proportion avec ce qui se fait aujourd’hui.
Depuis les chocs pétroliers des années 70, le monde s’est endormi dans l’illusion d’énergies fossiles indéfiniment accessibles à des prix cassés, voire sur la possibilité de maintenir par la force le pillage de ces ressources au profit des seuls pays les plus riches.
Vingt ans au moins ont été perdus en termes de recherche. Il est temps de relancer celle-ci, même le président Chirac y allait récemment de son couplet sur un relèvement des budgets de recherche à hauteur de 3 % du PIB.
Alors chiche ! Le temps est loin où la France engagée dans la filière UNGG exploitait en même temps le rapide sodium, les réacteurs à eau lourde avant de s’engager dans la filière à eau légère pressurisée. Cela ne l’empêchait d’ailleurs pas de s’intéresser au solaire tout en continuant son équipement en hydraulique et en thermique à flamme.
C’est d’ambition équivalente que le monde a besoin aujourd’hui pour assurer demain son développement durable. Le nucléaire y sera incontournable.
La France -et ce point mériterait à lui seul un long développement- dispose d’atouts considérables dans ce secteur. Elle est même un des rares pays du monde à en avoir conservé une part conséquente dans les années de vaches maigres que nous venons de traverser. Elle dispose d’un savoir faire reconnu -que certains sont prêts à venir copier, comme par exemple les Italiens tout récemment-, de travailleurs hautement qualifiés et d’un secteur d’enseignement et de formation encore performant. Elle doit s’en servir dans son intérêt et dans celui de l’humanité tout entière.