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Une VIe République qui rapproche élus et citoyens

Les dossiers de l’Humanité

Par Jacques Brunhes, député, vice-président du groupe communiste à l’Assemblée Nationale

Nos institutions sont en crise.

Les raisons ont la même origine que la crise de la société et de la politique. Or, la situation ne cesse de s’aggraver.

D’une crise des institutions qui dure depuis des années, nous passons à une crise de régime. Comme le dit le constitutionnaliste

Didier Maus, « on arrive presque au bout du système ». Illustration caricaturale de cette situation, le Congrès de Versailles du 28 février 2005 : 730 députés et sénateurs sur 892, c’est-à-dire 81,8 % des votants ont approuvé le projet de constitution européenne. Or, trois mois après, le 29 mai 2005, le pays après un débat parmi les plus profonds que la France ait connu, a rejeté ce même projet à 55 % ! Quelles leçons en ont tiré le président de la République et le gouvernement ? Aucune. Quelles leçons ont-ils tiré du choc politique du 21 avril 2002 ? Aucune. Quelles leçons des mauvais résultats pour la majorité aux européennes et de ceux, accablants, aux régionales et cantonales ? Aucune. Quelles leçons des puissantes manifestations ? Aucune. Oui, ce régime est à bout de souffle.

« Le peuple est devenu l’oublié d’une démocratie du simulacre et de l’apparence », écrivait le candidat Chirac en 1995.

La démocratie du simulacre et de l’apparence, c’est d’abord quand on ne tient aucun compte des avertissements ou des votes des citoyens, ni des programmes et des engagements pris. Or, aucune des promesses - aucune - n’a été suivie d’effet. Dès lors, le mécontentement chronique depuis 1986 conduit les électeurs à sanctionner systématiquement les majorités sortantes et à un taux d’abstention de plus en plus massif. C’est que la Ve République souffre de déséquilibres exorbitants qui favorisent à l’excès les pouvoirs de l’exécutif.

François Mitterrand, en 1992, écrivait :

« Une réforme de nos institutions doit corriger ce nouveau déséquilibre entre les pouvoirs. »

Il n’en a rien fait. Jacques Chirac, en 1995, notait : « J’ai regretté longtemps la dérive monarchique de nos institutions. Il est temps d’y mettre fin. » Or, c’est l’inverse qui s’est produit avec l’élargissement du fameux domaine réservé dont on ne trouve aucune trace dans la Constitution. Nous ne cesserons jamais de dénoncer cette monarchie élective où celui qui a été élu à la présidence de la République accapare des pouvoirs considérables, n’a de comptes à rendre à personne, ni au peuple, ni à la représentation nationale. Il n’a même pas à appliquer le programme sur lequel il a été élu. L’adoption du quinquennat et le couplage des élections présidentielle et législatives renforcent de fait les prérogatives du chef de l’État et favorisent la dangereuse bipolarisation de la vie politique, qui conduit de facto à un appauvrissement du pluralisme. La dérive présidentialiste s’accompagne de la relégation du Parlement, autre trait saillant des déséquilibres. Le Parlement est humilié.

Ses pouvoirs réduits à l’extrême. Alain Duhamel relève dans une de ses chroniques : « Le Parlement, c’est comme sous Bonaparte : le corps législatif vote sans discuter et le Tribunat discute sans voter. Mais les députés sont toujours à regarder passer les trains. »

Le récent recours aux ordonnances, en juillet 2005, en est un témoignage saisissant. Légiférer par ordonnances, alors que le gouvernement est en place depuis 2002, c’est tourner en dérision le principe de la séparation des pouvoirs, consubstantiel à toute démocratie. Deux lois d’habilitation, en 2003 avec 29 articles, en 2004 avec 100 articles comportant plus de 200 mesures, symbolisent la négation même du pouvoir législatif. C’est par ordonnance que l’on casse le droit du travail et sape les fondements de notre droit social.

Le droit du législateur est pratiquement réduit à rien. Après des semaines de discussion, le Parlement modifie à peine plus d’un millième du budget. Le gouvernement et sa majorité sont les seuls maîtres de l’ordre du jour. Sans oublier qu’avec Bruxelles, c’est 80 % des normes applicables en France qui proviennent des instances européennes. Je n’ai pris là que quelques exemples. Ils témoignent tous de la nécessité d’une réforme d’ampleur de nos institutions.

Or, ce qui frappe dans les diverses publications du Parti socialiste sur ce sujet c’est la minceur de leurs propositions. Daniel Vaillant titre sa contribution « L’évolution plutôt que la révolution » : « Le changement institutionnel peut passer par une simple évolution de la Ve », dit-il. D’autres formulent des propositions intéressantes, des adaptations fonctionnelles nécessaires. D’autres encore prônent un système primo-ministériel. Mais on cherche en vain celles d’une véritable construction d’une autre République.

Et certains, comme Jack Lang, proposent un système présidentiel à l’américaine, en faisant fi de nos traditions politiques.

Il y a certes là des débats utiles, mais ce qui est primordial, c’est la construction d’une nouvelle authentique VIe République, d’un véritable régime parlementaire qu’on ne peut confondre avec un gouvernement d’assemblées comme sous la IVe République.

L’organisation des pouvoirs s’organiserait autour d’un président dont le mode d’élection serait réformé. Il serait le garant du fonctionnement démocratique des institutions. Autour d’un gouvernement qui conduirait la politique de la nation, conformément au programme approuvé par l’Assemblée nationale. Et d’un Parlement qui retrouverait « une place et un rôle qui, dans une démocratie, doivent être les siens », pour reprendre la formule de la commission Vedel. Quatre orientations devraient se dégager : donner des pouvoirs réels au Parlement en matière budgétaire, développer les droits d’initiative parlementaire, améliorer la procédure législative, renforcer les pouvoirs de contrôle et d’exécution des lois. Compte tenu de la particulière saillance du fait majoritaire, ces réformes n’ont de sens que si on améliore la représentativité parlementaire par une réforme du mode de scrutin et que l’on s’efforce de rapprocher les élus des citoyens.

C’est à partir de ce socle que l’on pourra rechercher les articulations appropriées entre les institutions représentatives et la nécessaire démocratie participative qui devrait permettre enfin au citoyen d’intervenir en dehors des périodes électorales. Mais le chantier n’est qu’entrouvert si l’on songe à la décentralisation, à l’Europe, à la mondialisation, aux pouvoirs économiques ou encore à l’e-démocratie... Raison de plus pour oeuvrer à cette VIe République, à cette révolution institutionnelle dont dépend aussi toute action transformatrice.


Le : 19.10.2005
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