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Forum National pour l’école du 5 novembre 2005

Contribution au débat

Daniel ROME - Secrétariat National du réseau école

« L’éducation n’est pas un moyen d’échapper à la pauvreté, mais de la combattre »
Julius Nyerere
Principal leader de l’indépendance de Tanzanie (1962), premier président de la République.
Il instaura l’école obligatoire.

Le devenir du système éducatif est un des enjeux majeurs de la révolution conservatrice et néolibérale qui se met en place en France et en Europe depuis plus d’une décennie. Les forces progressistes doivent non seulement réagir mais aussi et surtout proposer un projet de transformation qui démocratise l’Ecole et ne l’enferme pas dans la logique du marché à l’opposé des choix du capital. Précisions aussi que nous pensons que la transformation de l’Ecole ne résoudra pas tous les problèmes « l’Ecole ne peut pas tout mais ne peut pas rien » pour reprendre une formule d’Annick Davisse. Cependant en transformant l’Ecole, on peut contribuer à changer la société. Tous les lieux et pratiques qui contribuent à la formation des rapports sociaux sont aussi dans ce cas. Donc il nous semble que transformer l’Ecole transformera aussi le rapport du travailleur dans l’entreprise, du patient vis-à-vis de sa santé etc...et concourt à la visée émancipatrice que nous portons dans notre projet global.

L’objectif du forum du 5 novembre est de débattre des axes forts du projet communiste pour l’Ecole ainsi que des moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à donner un contenu politique à une transformation progressiste du système éducatif.

Notre visée est ambitieuse. Nous ne sous situons pas dans une perspective qui viserait soit à être une minorité de témoignage ou encore de réduire notre projet à quelques bonnes idées pour « peser » sur le Parti Socialiste aux prochaines échéances électorales. Nous voulons oeuvrer à transformer l’Ecole en profondeur et réellement démocratiser l’accès aux savoirs. Il faut donc mesurer mieux aussi quelle est l’ampleur des aspirations au changement des rapports sociaux dans la société française. Pour réaliser notre ambition nous devons nécessairement travailler avec tous les acteurs de l’Ecole. Nous ne nous rallions pas à un projet, et nous ne demandons pas que d’autres se rallient à notre projet car toute transformation sociale ne peut être qu’une démarche collective et majoritaire. Notre projet veut contribuer au débat démocratique à gauche. Des questions importantes sont à discuter. Le débat doit être vif, stimulant, sortir du politiquement correct et développer l’énergie créatrice de l’ensemble de la société qui rejette le libéralisme et aspire à une autre politique.

1 ère question : la lutte contre les inégalités

Une des ambitions affichée du projet est de construire une école de l’égalité et de la justice. En effet si depuis 40 ans les politiques mises en oeuvre ont permis à un très grand nombre de jeunes d’accéder à une formation de niveau baccalauréat (environ 66% d’une classe d’âge aujourd’hui) la « massification » n’a pas conduit à une démocratisation et les inégalités se retrouvent sur différents plans :

-  Inégalités territoriales

-  Inégalités dans l’accès à un savoir de haut niveau pour tous

-  Inégalités des voies de formation quant aux débouchés

-  Inégalités sociales qui ont des incidences sur le rapport des élèves aux savoirs.

De fait l’Ecole construit le tri social, comme Pierre Bourdieu l’avait analysé il y a une trentaine d’années. Les enfants d’ouvriers, d’employés et des milieux populaires ont nettement moins de chance d’accéder à l’université ou aux CPGE que les enfants de cadres ou des professions moyennes supérieures. Nous proposons dès à présent que la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans soit inscrite dans la loi et que des mesures politiques et financières d’accompagnement soit prises pour permettre la scolarisation dès l’âge de 2 ans sur tout le territoire français. Nous proposons que le budget de l’Etat consacré aux dépenses pour le système scolaire dans son ensemble passe de 3.8% du PIB à 7% sur une législature. Nous proposons une démarche de gratuité de 3 à 18 ans, une véritable gratuité garantissant les bases matérielles pour assurer des enseignements de qualité. Nous proposons aussi que l’Ecole rompt avec sa logique de tri social et s’inscrive dans une logique de formation, d’accès aux savoirs permettant à tous les élèves de réussir, ce qui signifie revoir les programmes et les méthodes modélisés implicitement sur le registre des classes dominantes cultivés qui partageraient au préalable des pré-requis communs. Construire une école pour tous avec pour objectif un haut niveau de culture scolaire commune implique de prendre la mesure des différences dans le rapport aux savoirs. Cela implique aussi un large débat pour dégager ensemble des pistes alternatives qui transforment en profondeur l’Ecole pour la démocratiser pour de bon. Nous proposons la création d’observatoires de la scolarité, institutions qui seraient créées au niveau départemental et régional et local dans les grandes agglomérations et la création d’un fonds national de lutte contre les inégalités.

2 ème question : la formation des enseignants

Aucun changement, aucune amélioration à fortiori aucune transformation ne peuvent être envisagées sans que les personnels de l’Education nationale soient fortement impliqués dans les objectifs et la mise en oeuvre. La pédagogie est généralement réduite à une forme, une méthode, et ne prend que rarement en compte la question des contenus de savoirs enseignés. Mais comment penser un quelconque mode de transmission sans s’être interrogé sur l’objet de la transmission ?

Pour prendre un exemple, s’agit-il en grammaire de mémoriser les terminaisons des verbes des trois groupes au participe passé ou de comprendre comment s’est construit ce participe passé pour l’orthographier à chaque fois qu’on le rencontre, c’est-à-dire produire un texte qui pourra être compris de tous les lecteurs ?

Il s’agit n‘apprendre aux élèves au-delà de la mémorisation nécessaire des règles de conjugaison ou de grammaire que la langue est un système codé, qui a une histoire, que c’est un outil de pensée et que sans cela il est impossible et de partager avec d’autres (c’est cela aussi la culture commune) ou de penser ce que l’on fait. Les élèves issus des milieux populaires, prisonniers d’une conception utilitariste de la langue, dans l’ici et le maintenant de leur vécu, se trouvent, si ce travail n’est pas mené, exclus.

Pour reprendre ce que dit Stéphane Bonnery, il s’agit de mettre au travail les élèves sur des objets de savoir et non de les mettre en présence des savoirs. Il importe surtout que les élèves apprennent à penser et si le choix des contenus d’apprentissage n’est pas neutre celui des modalités de transmission ne l’est pas plus. L’acte pédagogique n’est pas réductible à une méthode : il produit de la soumission ou de l’invitation à penser, il exige docilité ou initiatives, il normalise ou il s’appuie sur les cheminements singuliers, il transmet un savoir déjà là que l’élève doit capitaliser (passivité intellectuelle) ou conçoit l’accès au savoir comme un déplacement, une transformation de soi et de son regard sur le monde (ce qui nécessite une véritable activité intellectuelle). Les modes de transmission donnent à voir les représentations qui dominent chez les enseignants quant à leurs conceptions du savoir, de son acquisition.

L’origine sociale des enseignants fait empêchement pour certains à se décentrer de leur culture pour comprendre ce qui est à l’oeuvre chez leurs élèves. C’est pourquoi leur formation doit être remodelée sachant qu’ils sont très nombreux à être issus de milieux socioculturels moyens ou favorisés, mais nous retrouvons des difficultés parfois similaires avec des enseignants d’origine populaire. La question de leur formation et les enjeux politiques de cette formation est fortement posée. Il y a deux ans, un sondage de la FSU montrait qu’un nombre non négligeable d’enseignants étaient convaincus que tous les élèves ne pouvaient pas réussir. Car la distance objective est souvent très grande entre eux et leurs élèves : non plus seulement en termes de méthodes mais en termes d’éthique, où l’objectif est bien, en permettant l’accès aux savoirs, à l’autonomie de pensée, à la capacité à agir dans une vision solidaire de la société, de favoriser l’émancipation mentale de tous et la mise en partage des savoirs. Ils se trouvent ainsi en difficulté voire en souffrance, comme ils en témoignent face à des problèmes qu’ils ne peuvent affronter faute d’outillage théorique. On constate lors de débats ou discussions, la difficulté pour nombre d’entre eux (produits de la réussite scolaire) à se décentrer de leur histoire personnelle pour comprendre ce qui est à l’oeuvre dans la difficulté scolaire, plus encore dans le refus d’école. Les enseignants sont porteurs de parti pris, implicites ou formalisées qui ont des incidences notoires sur le regard porté sur les élèves, leur conviction ou non dans le pari que fait l’école républicaine de l’éducabilité de tous. C’est ainsi qu’en ZEP, on peut observer parfois les effets négatifs de dérives humanitaires, portées par les textes (donner plus mais plus de quoi) et renforcées par le manque d’outillage pour une analyse. Il faut montrer qu’il y a convergence entre les textes ambigus et certaines positions conscientisées ou non. Certains estiment que l’on ne peut demander autant à ceux qui ont moins (mais de quoi est fait pour eux ce manque), que la complexité n’est pas à leur portée et que viser à un SMIC des savoirs est indispensable au moins dans un premier temps ; par exemple ambiguïté puis malentendus dans une approche ludique (rapport à l’apprendre dans les milieux populaires) qu’enfin, « sortir » de l’école peut permettre par des approches plus ludiques de mieux faire "passer" la pilule amère des apprentissages. Les enseignants peu formés pour affronter des élèves dans lesquels ils ne se reconnaissent pas, vivent douloureusement leur « abandon » par l’institution. Ils finissent par s’identifier, dans l’accumulation de difficultés, voire d’échecs à leurs élèves et s’enferment dans une image péjorée d’eux-mêmes où ils ne s’autorisent plus à penser qu’ils sont capables de réussir, c’est-à-dire de faire réussir les élèves qui leur sont confiés. Il ne s’agit pas de stigmatiser les enseignants mais de considérer que ce qui se fait à l’école intéresse toute la société et que former et aider les enseignants peut concourir à réduire ou non le nombre d’élèves en situation d’échec. Cette question doit aussi faire partie du débat.

Nous proposons donc de mettre en place un plan de recrutement sur 5 ans, incluant des prérecrutements rémunérés dès le bac pour faire face aux besoins d’une transformation démocratique du système éducatif. Une formation des enseignants portée à 3 ans et des mesures pour permettre une formation tout au long de la carrière qui intègre à la fois les aspects pédagogiques et disciplinaires et favorise une analyse des pratiques des enseignants pour améliorer la qualité du travail, à l’inverse des logiques actuelles qui stigmatisent les enseignants dans leur ensemble ou qui nient les difficultés d’exercice du métier. Permettre à tous les enseignants de relier recherche et enseignement.

3 ème question : la citoyenneté et la démocratie

La question de la citoyenneté et de la démocratie se pose sur différents plans. Nous devons réfléchir comment les différents usagers du service public scolaire peuvent participer à la vie de l’établissement : les élèves, les parents d’élèves, les enseignants et les personnels ATOSS. Cela implique un rôle renouvelé des conseils d’école ou conseil d’administration et les moyens pour qu’existe une activité démocratique et une liberté d’expression. Car l’apprentissage de la démocratie non seulement n’est pas « la cerise sur le gâteau » mais de nombreux enseignants et psychologues s’interrogent sur les modes de transmission du savoir. La participation active n’est-elle pas de plus en plus sollicitée et dans ce cas ne pose-elle pas ces questions en ces termes y compris de découverte et d’appropriation des savoirs ?

Nous proposons qu’un statut de citoyen soit reconnu pour tous les élèves de lycées ouvrant droit à des droits et devoirs clairement énoncés et à la participation, par l’intermédiaire de leurs associations représentatives, à toutes les instances de concertation du système éducatif avec les mêmes droits que les autres composantes. Que les parents aient les moyens de participer activement aux instances représentatives. Que les conseils d’école et d’administration soient de véritables lieux de démocratie et non des chambres d’enregistrement de décisions prises ailleurs. Que l’organisation de la vie scolaire soit conçue dans un esprit de démocratie participative. Que les programmes soient conçus afin de développer l’esprit critique des élèves et que les ouvrages scolaires contribuent à cette logique. L’école a une mission historique, dont l’enjeu est celui d’une émancipation au sens d’affranchissement de toute tutelle, de toute domination (clanique, ethnique, religieuse, familiale...). Cette émancipation, c’est ici et maintenant qu’il nous faut la penser, la mettre en oeuvre. Elle ne peut exister que dans des pratiques qui proposent à l’élève d’entrer dans des savoirs, une culture, hérités de notre histoire, où se développera dans la solidarité la volonté commune d’affronter le monde pour le transformer. Les valeurs n’existent que dans les pratiques qui les construisent. Le meilleur moyen de défendre l’école c’est de la transformer. La transformation de l’Ecole est aujourd’hui un défi et un véritable enjeu de civilisation.

La lettre du réseau école - N°29, novembre 2005


Le : 22.11.2005
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