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L’Humanité

Écologie, démocratie et politique industrielle

Vous avez pris la parole, gardez-la !

Par Bernard Guibert, responsable de la commission économie des Verts.

La question paraît incongrue : s’il y avait alternance en 2007, imagine-t-on un premier ministre de gauche, « responsable », confier sérieusement aux Verts la conduite de la politique industrielle, « pacser » les fumées des cheminées d’usines avec les fleurs et les petits oiseaux ? Eh bien, la droite a eu ce manque de vergogne ! Au moins en paroles.

En effet, sa politique des « pôles de compétitivité » est directement inspirée par le rapport publié en 2004 par Christian Blanc et intitulé « Pour un écosystème de la croissance ».

Comme dans le cas du « développement durable », le capitalisme essaie de concilier les inconciliables : demander aux chercheurs, aux étudiants et aux opérateurs dans les ateliers et les bureaux qu’ils se défoncent pour lui et que cette défonce soit tellement désintéressée que le capital puisse prétendre au monopole exclusif des profits issus de l’innovation et de la créativité sociales. La droite appuie à la fois sur l’accélérateur (l’implication des travailleurs) et sur le frein (la confiscation privée des fruits de la coopération collective).

Donc, en cas d’alternance en 2007, les Verts et leurs alliés de gauche, le PC et le PS, vont hériter de cette politique vouée à l’avortement. Or les Verts ont tous les atouts pour réussir là où la droite ne peut qu’échouer. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première est une « connaissance scientifique » que la droite ignore et que les Verts partagent avec leurs futurs alliés au pouvoir.

Nous savons en effet que, pour libérer le progrès social de ces entraves capitalistes, il faut que tous les vrais opérateurs aient droit à la parole dans les orientations et la conduite des entreprises, des laboratoires de recherche et des universités. Par contre, ce qui singularise les Verts par rapport au PC et au PS - cette divergence ne devrait pas être insurmontable -, c’est, après Hiroshima et surtout Auschwitz, la conscience ’une « déchirure de l’histoire », qui force à constater que la science et la technique ne sont pas neutres et à rompre avec une confiance aveugle dans le progrès de la société.

Les Verts pensent que le seul antidote contre les crimes potentiels contre l’humanité que constituent la non-signature du protocole de Kyoto, la multiplication des cataclysmes, la destruction de la biodiversité et des écosystèmes, la prolifération des OGM non maîtrisée, etc., c’est la maîtrise démocratique des orientations et des applications de la recherche dans l’industrie et dans les services. Notre divergence avec nos alliés porte sur le fait que nous ne faisons plus confiance à l’État, au contrôle parlementaire ou même aux savants pour mettre en oeuvre le fameux « principe de précaution ». Nous ne connaissons que trop bien, à Bruxelles et à Paris, le pouvoir des lobbies et la puissance de la corruption.

Non, le vrai contrôle démocratique passe par la démocratie participative et délibérative généralisée au niveau des territoires : la nature des « écosystèmes » que les Verts souhaitent y développer n’est ni industrielle ou économique, comme dans le rapport de Christian Blanc, ni purement « naturelle », comme dans les parcs nationaux et les « réserves » d’Afrique ou d’Amérique pour les Peaux-Rouges et les Noirs dans le cadre de l’apartheid de la « deep ecology ». Pour nous, un « écosystème territorialisé » est essentiellement politique : c’est le milieu dans lequel doivent baigner les êtres humains pour satisfaire leur métabolisme vital généralisé, c’est-à-dire leur métabolisme à la fois physiologique, psychique, social et politique. Ce « milieu » humain, cet écosystème sans lequel une vie humaine digne de ce nom ne mérite pas d’être vécue, est celui de la démocratie délibérative.

Je peux illustrer mon propos avec une des politiques industrielles les plus importantes et une de celles qui fâchent le plus à gauche, nous les Verts d’un côté et le PC et le PS de l’autre. Je veux parler de la politique énergétique. Entre l’explosion du prix du pétrole, anticipée de longue date par notre député Yves Cochet, et les conséquences à La Nouvelle-Orléans du réchauffement climatique, le sujet est d’une actualité brûlante.

Comme nos futurs alliés, nous pensons que la révolution des comportements individuels est au moins aussi importante que les politiques publiques de tarification courageuse, de lutte contre les profits spéculatifs des multinationales pétrolières, d’économie d’énergies et de réorientation massive des investissements vers le ferroutage et les énergies renouvelables et vers un urbanisme sobre en déplacements physiques et en ressources naturelles non renouvelables.

L’expérience montre que les tentatives de modification autoritaire des comportements sont inefficaces. Ce qui est efficace est « politiquement correct » - démocratique -, c’est la prise de conscience, l’information, l’éducation et l’émulation dans l’entraide mutuelle. La démocratie participative, ce sont des débats publics et contradictoires décentralisés et démultipliés, où les experts répondent aux questions de Monsieur Tout-le-monde au lieu de prétendre lui dicter ce qu’il doit faire et ce qu’il doit penser. Nous sommes tous d’accord là-dessus, Verts, PS et PC.

Là où nous divergeons, c’est notamment sur la question emblématique et décisive du nucléaire. Pour les Verts, le nucléaire est une fausse bonne solution. D’abord parce qu’on ne fait pas voler des avions avec de l’électricité. Ensuite parce qu’on remplace « l’état de manque » de nos sociétés « addictes » au pétrole, dont l’envolée des prix est le symptôme annonciateur, par le débordement des poubelles nucléaires, qui offrent à tous les terroristes d’épouvantables « armes de destruction massive ». Qui peut jurer, d’autre part, que le territoire de la France qui comporte des dizaines de centrales nucléaires et qui a été un champ de bataille pour deux guerres mondiales ne le sera plus jamais ? Et veut-on qu’un État policier obsédé par le terrorisme saccage nos paysages avec une forêt de miradors ?

Il faut donc au plus vite que l’humanité sorte du nucléaire, et que notre pays montre l’exemple. Bien évidemment, une telle réorientation massive, héroïque, mais inévitable, de notre mode de vie ne peut pas se faire du jour au lendemain et de manière coercitive. Elle présuppose la démarche collective, lucide et concertée des citoyens dans le cadre d’une « planification participative décentralisée », ce concept « d’écosystème politique » auquel les Verts réfléchissent depuis deux décennies et dont la droite vient de nous servir une contrefaçon caricaturale, inefficace et injuste : « L’écosystème de la croissance. »


Le : 27.10.2005
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