Parti communiste français

L’air du temps contre la transformation progressiste de l’école.

Contribution d’Annick Davisse

Depuis 25 ans, ont fleuri, à propos de l’école, des concepts qui font souvent écran aussi bien au diagnostic de ce qui fait la crise du système qu’à la possibilité d’imaginer les axes de sa transformation.

Il ne s’agit pas ici d’une manie langagière puriste, mais de l’idée simple que les mots sont des valises, et qu’ils construisent, à l’insu souvent de leurs utilisateurs, des principes d’action. Sauf à penser comme cela m’a été dit un jour par une élue que « les principes c’est ce que demandent les gens », il peut donc être utile de nous dire de quelles orientations les concepts « à la mode » peuvent être porteurs. Pourquoi aborder ce problème dans le cadre d’une réflexion sur le rôle des collectivités territoriales ?
Est- ce à dire que les élus seraient plus perméables aux concepts flous ? Non.
Mais, au contact quotidien des « usagers », ils et elles sont incontestablement d’une part plus exposés à l’expression spontanée de demandes s’inscrivant dans cet « air du temps » (les idées à la mode, les gadgets médiatiques), d’autre part plus pressés par l’injonction de « faire quelle que chose » (cf. le lancinant « qu’est-ce que vous faites pour nous ? »).

Ainsi cinq concepts porteurs de malentendus (il y en a bien d’autres) sont souvent utilisés dans le travail des collectivités : « l’égalité des chances », « l’enfant au centre », la « citoyenneté » à l’école, le lien « école/entreprise », et « les rythmes scolaires ».

-  L’égalité des chances, joli masque du renoncement à combattre les inégalités ?
Dans l’histoire du collège unique, promouvoir l’égalité des chances a consisté à agir sur les structures et les flux : mettre les élèves ensemble, supprimer les filières officielles ; ce n’était pas rien, et cela a produit - dans un temps très court, (15 ans) - la remarquable massification de l’enseignement secondaire que l’on connaît. Mais aujourd’hui en rester à ce slogan revient précisément à ne pas diagnostiquer les facteurs de blocage de la démocratisation : « sous le même toit », les élèves, dans leur diversité d’aujourd’hui, sont face à des contenus, des modalités d’enseignement, et surtout un sens implicites des scolarités qui restent marqués par la logique historique de tri. Contredisant la proclamation égalitaire, les inégalités créent, particulièrement à l’adolescence, et plus particulièrement encore parmi les garçons des milieux populaires, davantage de déception voire de rage.
En ce sens se réclamer de l’égalité des chances obscurcit la perception des conditions d’une nouvelle étape de la démocratisation et le fait que la lutte contre les inégalités, si elle nécessite plus de moyens, appelle aussi des transformations d’envergure.
Que faire et comment dire ?
Nous proposons que le concept clé reste « la lutte contre les inégalités sociales à l’école » (cf. si l’école ne peut pas tout elle ne peut pas rien). Evitons même celui de « réussite pour tous » (forgé pas les ministres des années 80), tant est ambigu le critère de réussite : au pire chacun sa pente, au mieux le modèle d’excellence des années 50.

-  L’enfant au centre, les savoirs à la porte ? La vulgarisation est encore pire que l’original, car la loi de 89, dans son exposé des motifs, met « l’élève » au centre (et non « l’enfant »). Reste que s’est développée autour de cette loi la polémique contre les savoirs au nom de « l’excès d’encyclopédisme » ou pire d’une nécessaire « mort des disciplines ». Cette approche hante depuis 15 ans tous les débats, de l’agression d’Allègre contre le second degré à celle de Thélot sur le socle commun. Elle est souvent sous tendue par l’idée qu’il suffirait pour démocratiser, d’étendre aux collèges le modèle de l’école élémentaire, comme si celle-ci n’était pas aussi en crise (cf. ses 20% de redoublants et la persistance des inégalités révélées par les évaluations CE2/6è).
Que faire et comment dire ?
Oui, l’activité réelle des élèves, et les conditions de la mise en activité réelle de tous, dans les apprentissages appellent bien la prise en compte des élèves réels d’aujourd’hui. Ce travail doit conduire à de profondes transformations des modes et contenus d’enseignement (pas dans le sens de « baisser le niveau », mais d’en élucider tous les implicites culturels, les « pré - requis »).
Toutefois :
- c’est tout aussi nécessaire en primaire (et
en maternelle) qu’en collège et lycée)
- cela ne suppose pas moins de savoirs de
disciplinaires mais des savoirs mieux
articulés aux pratiques scolaires (place de
l’épistémologie, de l’histoire des sciences
par exemple, du théâtre etc. ...)
- cela ne se fera jamais contre les
enseignants, mais avec eux, à partir des
butées qu’elles et ils rencontrent dans leur
pratique professionnelle. En ce sens, les
remplacements imposés nous éloignent du
développement -bien plus coûteux il est
vrai - d’un nouveau type de travail
enseignant par l’invention de nouvelles
exigences de concertation, qui seul pourrait
vraiment ouvrir la voie d’une prise en
charge plus collective et concertée des
classes.

-  Apprendre « la citoyenneté », selon quel modèle ?
Il serait méchant de dire qu’à l’école plus on parle de citoyenneté moins on la met en pratique ... mais quand même, à quoi servent par exemple les stages de délégués élèves si c’est pour que rien ne change dans le fonctionnement des conseils de classe ou que l’on dise à un-e délégué-e qu’il doit être « un modèle pour ses camarades ». Un modèle de quoi ? On voit apparaître ce malentendu, clef de beaucoup d’échecs, qui suppose que l’on est plus souvent à l’école « pour écouter » que « pour apprendre ». La sagesse devient alors un préalable (« socialiser d’abord » comme disent si souvent les journalistes comme si ce n’était pas apprendre qui socialise). Il faut relier cette question aux débats sur le sécuritaire version « sauvageons », « troubles des conduites » (cf. la double page de l’huma du 11/10) etc.
Que faire et comment dire ?
Des débats comme celui en cours entre la FSU et la ligue de l’enseignement mériteraient d’être connus, car la Ligue, ou les francas, et les CEMEA sont souvent considérés par les collectivités comme les prestataires naturels d’actions « citoyenneté », sans que le débat .... citoyen ne soit engagé sur le modèle proposé, la place réelle des élèves des milieux populaires dans les conseils mis en place, les traces historiques de la domination de classe ... en classe etc. S’agit-il de promouvoir le modèle de promotion des notables actuels ?
Sur le fond, même en politique, il serait intéressant de revenir sur la raison de la réapparition du concept de « citoyenneté » et la disparition de celui de « démocratie », dont on peut comprendre l’usure, mais avec qui, en fait, disparaît le « démos ». Question de la place du peuple en effet ? L’ambiguïté est sans doute aussi sous tendue par la confusion entre la nécessaire place nouvelle du « sujet » (à l’école comme dans la vie) et la redoutable promotion de « l’individu ».

-  L’introuvable « lien école/entreprises », pression de l’emploi contre le travail ?
Cette question est difficile, les essais pour débattre des rapports travail/école n’ont pas été fructueux (journée d’étude de 2001, atelier des états généraux de la culture par exemple). Reste que tout raccourci pour lier école/emploi s’avère instrumental : d’une part il va toujours dans le sens d’une plus grande ingérence du patronat, d’autre part et surtout, il tend à aggraver la perte de sens des apprentissages.
Que faire et comment dire ?
Il faut absolument ouvrir ces débats sur les rapports travail/école, place et image du monde du travail dans l’école, moteur et sens du travail scolaire.
En dénonçant la démagogie récurrente autour de « la revalorisation de la voie professionnelle », nous avons à mettre à plat la situation des fin de troisième : dans le département, ça coince sérieusement, et en plus dans des secteurs porteurs d’emploi, comme le BTP ou le sanitaire et social, l’électronique etc. Si les collectivités territoriales peuvent jouer un rôle dans ce domaine, ce ne sera pas en finançant « une meilleure information » comme le suggèrent depuis 15 ans les prescriptions ministérielles, mais en contribuant à des façons nouvelles de connaître le monde du travail, qui ne sauraient bien sûr se résumer à sa vision patronale.

-  Les « rythmes scolaires », cheval de Troie du « moins d’école » ?
Rappelons nous le battage des années 80 autour de la fatigue des élèves, constatons que cela a abouti, à Paris et ailleurs, à une situation bloquée sur l’épuisante semaine de quatre jours, cherchons l’erreur ! N’est-ce pas un exemple de concept instrumentalisé pour traduire une demande socialement marquée par le mode de vie des couches moyennes urbaines (les week ends) ? Comparons les résultats internationaux aujourd’hui connus et les heures et pages de média dépensés pour les éloges des systèmes anglais ou allemands : que de bruit pour des systèmes aussi en crise (sinon plus) que le nôtre !
Que faire et comment dire ?
Prendre au sérieux la question de l’alternance fonctionnelle entre les enseignements et dans les formes d’enseignement c’est par exemple davantage d’éducation physique, de musique, de théâtre, d’arts plastiques, de sorties sérieusement exploitées etc. Mais tout cela étant de l’enseignement, et non du supplément d’âme ou de l’éveil, il faut que ce soit le système éducatif qui en assure l’égalité d’existence (et non les revenus, trop inégaux, des collectivités ou les compétences, autres, de leurs intervenants) ;
vaste programme, notamment en formation/recrutement d’enseignants.

La lettre du réseau école - N°29, novembre 2005