Nicole BORVO COHEN-SEAT - Présidente du Groupe communiste, républicain et citoyen au Sénat
Jean-Louis Debré et Pierre Mazeaud se sont relayés, lors des vœux à l’Elysée, pour fustiger les promoteurs d’une VIè République. Le seul problème qui mérite attention à leurs yeux, c’est la boulimie législative du gouvernement et des parlementaires.
C’est être bien aveugle que de ne pas voir le divorce entre le peuple et les institutions ! Et justement, l’année 2005 a été sur ce point particulièrement édifiante.
Le 29 mai, 55% des Français rejetaient le projet de traité constitutionnel européen, que 91% des parlementaires avaient adopté.
Le déclin du parlement est patent. Les mesures les plus structurantes de la politique antisociale du gouvernement ont été prises par ordonnances. Cinquante-neuf projets ont été votés en urgence. Quant au vote du budget, la LOLF réduit à la portion congrue le rôle des parlementaires.
Il est vrai que ceux de la majorité acceptent de se saborder eux-mêmes.
La représentation nationale est en crise. Le parlement est dessaisi. La démocratie est bafouée.
Au point que 78% des Français se demandent à quoi servent les députés.
Est-ce question de pratiques, comme le suggèrent Messieurs Debré et Mazeaud, ou faut-il s’interroger sur l’état actuel de nos institutions ?
Certes, le fossé entre les citoyens et la représentation nationale se nourrit des politiques menées depuis des années : promesses non tenues, « impuissance » affichée par les pouvoirs politiques successifs sur l’économie, désengagement de l’Etat, éloignement des décisions, absence de perspectives...
Et comment ne pas voir que l’évolution des institutions et des pratiques s’entretiennent mutuellement ? Présidentialisme et bipartisme ont été singulièrement aggravés par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral voulus par Jacques Chirac et Lionel Jospin. Les modes de scrutin font que 90% des sièges à l’Assemblée reviennent à des partis qui n’atteignent pas, réunis, 50% des voix. S’ajoutent la crise de légitimité des élites, le non renouvellement des élus, la quasi absence de la représentation des catégories populaires, des femmes, des jeunes, de la diversité d’origine, l’exclusion des immigrés du droit de vote et de l’éligibilité.
En matière de démocratie sociale, il n’y a eu non seulement eu aucune avancée depuis 1981 mais, hélas, de plus en plus de reculs.
Ajoutons que les organes de contrôle des institutions sont totalement antidémocratiques dans leur composition et leur mode de désignation. N’est-il pas choquant que le Conseil constitutionnel ait validé, pour 2006, le « plafonnement » de l’impôt sur le revenu, et en même temps censuré celui des déductions fiscales ? Comme il est choquant qu’il ne puisse être saisi que par soixante sénateurs ou soixante députés et donc par les seuls partis dominants, raison pour laquelle il ne l’a pas été sur la loi instaurant l’état d’urgence ?
Certes, la réforme des institutions n’est pas mise en avant spontanément par nos concitoyens. Mais elle est extrêmement présente en « creux ».
En témoignent l’instabilité des majorités politiques, l’abstention, le fait que les « politiques » et les partis qui n’ont pas la cote ; mais aussi le développement de formes autonomes de démocratie : forums, citoyenneté locale, votations citoyennes...
La gauche devrait y réfléchir. Pour l’instant, elle est pour le moins divisée et timorée, d’autant que le PS a repoussé officiellement toute idée de VIè République à son congrès.
Aujourd’hui, le débat semble se polariser sur un présidentialisme à l’américaine, soutenu peu ou prou par Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn ou encore Jean-Pierre Chevènement. En définitive, on a l’impression que les politiques se préoccupent du partage des pouvoirs entre ceux qui l’ont déjà, alors que dans le peuple, l’idée d’une démocratisation profonde des institutions trouve de plus en plus de résonance.
Sommes-nous capables d’y répondre en étendant la citoyenneté dans le champ social, notamment à l’entreprise, et dans le champ politique, en l’accordant à tous ceux qui vivent sur le territoire ou en instaurant le droit d’initiative législative, le référendum d’initiative populaire... ?
Au parlement, il faut oser parler du non-cumul des mandats, de leur renouvellement, du statut de l’élu et, bien entendu, de la proportionnelle. Le Président de la République se dit prêt à exiger la parité à tous les niveaux, sans qu’on sache d’ailleurs très bien si c’est une promesse verbale ou une décision effective. Justement, la parité irait d’autant mieux que serait fait le choix de la proportionnelle !
Il faut aussi redonner la prépondérance au législatif sur l’exécutif : en abandonnant les pratiques telles que le vote bloqué, les ordonnances, le recours à l’article 49-3..., en limitant strictement le rôle du Président de la République.
Quant au Sénat, son rôle doit être revu.
Une véritable réforme en profondeur des institutions ne peut se faire qu’à l’issue d’un processus lui-même démocratique :
si les citoyens doivent avoir le pouvoir, il n’est pas possible de leur dénier celui de décider de leurs institutions. Ces questions doivent faire partie du débat sur une politique alternative.
De ce point de vue, l’instrumentalisation de l’émotion suscitée par la terrible affaire d’Outreau pour engager une réforme de la justice est une caricature. La droite a déjà désigné les coupables : le juge d’instruction, l’indépendance des magistrats.
Ce qui est au contraire indispensable, c’est d’ouvrir un débat sérieux et serein sur les disfonctionnements de la justice, la misère de ses moyens, mais aussi sur la spirale répressive qui caractérise la politique actuelle et qui a des effets dévastateurs et sur l’opinion et sur les magistrats eux-mêmes.
(Voir le document de travail du PCF : « Pour une VIè république solidaire et démocratique » )