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Utilité et faisabilité de la "Taxe Tobin"

La taxe Tobin a pour vocation de taxer les transactions sur le marché de changes. Ce marché présente un certain nombre de particularités qu’il est nécessaire de prendre en compte afin de pouvoir évaluer les conséquences d’une taxation.

Utilité et faisabilité de la "Taxe Tobin"

La taxe Tobin a pour vocation de taxer les transactions sur le marché de changes. Ce marché présente un certain nombre de particularités qu’il est nécessaire de prendre en compte afin de pouvoir évaluer les conséquences d’une taxation. La première caractéristique du marché des changes est d’être décentralisé dans le sens où les transactions sont réalisées de gré-à-gré, c’est-à-dire sans transparence. Le marché des changes ne fonctionne pas comme le New York Stock Exchange, qui est un marché de titres centralisé, où, par exemple, lorsqu’un courtier exécute un ordre de son client, prix et quantité sont des informations publiques.

La deuxième caractéristique est d’être un marché de gros dirigé par les prix (dealer-driven), où les teneurs de marché (market makers), pour l’essentiel, les banques, déterminent des cours vendeurs et acheteurs suscitant des offres et des demandes, et sont tenues de vendre ou d’acheter à tout moment. Les banques sont les intermédiaires obligés et exécutent les ordres des entreprises, des gestionnaires de fonds et des particuliers, qui n’ont pas un accès direct au marché de gros. Aux cotés des banques, les courtiers (brokers) jouent le rôle d’intermédiaires en informant les opérateurs des cours auxquels se vendent ou s’achètent les devises et en centralisant les ordres d’achat et de ventes de plusieurs banques. Les courtiers ne sont soumis à aucune obligation de publicité. Au contraire leur capacité à faire des profits dépend de leur capacité à proposer des cours acheteurs ou vendeurs plus intéressants que les cours officiels ou ceux de leurs concurrents, ce qui impose de livrer le moins d’informations possibles. En 1998, 90% des transactions avaient lieu entre banques et autres intermédiaires financiers, ce qui indique que le marché des changes est essentiellement un marché interbancaire.

On observe par ailleurs, une tendance progressive du marché à évoluer vers un marché électronique. Selon le rapport de la B.R.I. de 1992, près des deux tiers des transactions étaient réalisées directement par les cambistes des banques, dont un tiers directement par téléphone, et un tiers grâce à des systèmes de transactions informatiques automatiques. La part des transactions réalisées par l’intermédiaire des courtiers était de 35%, essentiellement par téléphone. En 1995, la part des transactions effectuées par les courtiers avait baissé à 30%, et en son sein, les transactions réalisées automatiquement (appariement automatique des ordres) représentait 6%, alors qu’elle était quasiment inexistante en 1992.

Le rapport de la B.R.I. de 1998 (p 15) montre qu’en Grande-Bretagne, la part des transactions réalisées par les courtiers est tombée de 35% en 1995 à 27% en 1998, les transactions directes entre banques représentant donc respectivement 65% et 73% au cours des mêmes périodes. Le courtage électronique a augmenté de 5% du total des transactions de changes en 1995 à 11% en 1998, ce qui signifie que le courtage traditionnel par téléphone a baissé de 30% à 16% du total des transactions du marché. Aux Etats-Unis près de 30% des transactions au comptant sont réalisées par le courtage électronique contre 10% en 1995. A Tokyo, les courtiers ont augmenté leur part du marché de 28% en 1995 à 36% en 1998, le courtage électronique représentant 36% du total des transactions contre 12% en 1995.

Par conséquent on observe bien une montée en puissance des systèmes électroniques aux dépens des transactions traditionnelles réalisées par les cambistes de salles de marché utilisant le téléphone et le télex.

Cette évolution, si elle se confirmait, est importante, car elle rend techniquement possible, une transformation de la structure du marché, qui pourrait être plus concentré, et basculer vers un marché dirigé par les ordres, c’est-à-dire, un marché plus concentré où le prix d’équilibre résulte de la confrontation des ordres d’offre et de demande.

1 L’utilité de la « taxe Tobin ».

L’objectif de la taxe Tobin est, selon son auteur ([19]), de lutter contre les fluctuations excessives des taux de change, en réduisant le montant et la vitesse de circulation des mouvements de capitaux de court terme. L’obtention de recettes fiscales étant un by-product. Elle consiste à taxer toutes les transactions de change. Si le profit résultant d’un aller-et-retour sur une monnaie est inférieur au double du montant de la taxe, la double transaction de change n’aura pas lieu.

Aujourd’hui, on estime que 80% des transactions sur le marché des changes correspondent à des aller-retour d’une semaine, et 40% à des aller et retour de deux jours voire moins. Au quotidien, l’horizon temporel des opérateurs financiers se limite souvent à quelques heures. Dans un tel contexte, la taxe Tobin se révélerait utile en réduisant les profits que peuvent espérer les opérations spéculatives journalières et hebdomadaires sur le marché un change, sans pénaliser les opérations financières de long terme qui sont les contreparties des opérations liées au commerce international et à l’investissement productif à l’étranger.

La taxe réaliserait cet objectif en "filtrant" les opérations de change de façon extrêmement simple (voir le tableau en annexe). Supposons que la taxe soit de 0.1%. Un aller et retour sur une monnaie entraînera une taxe de 0.2%. Si un agent opère un aller et retour sur une monnaie tous les jours, le montant annualisé de la taxe sera de 61.5% ([20]). S’il effectue l’aller et retour une fois par semaine, le montant annualisé de la taxe n’est plus que de 7%, 2,4% si la fréquence est mensuelle, 0,8% si elle est trimestrielle, et enfin 0,2% si elle n’a lieu qu’une fois par an.

Grâce au filtrage ainsi opéré, la taxe renforcerait l’influence des anticipations de long terme des taux de change, plus stabilisatrices par nature, et qui orientent les décisions d’investissement des entreprises, au détriment des anticipations de court terme, qui obéissent plus à des stratégies de profit spéculatif.

Cette fonction de filtrage est étroitement liée à l’objectif de stabilisation des taux de change.

Selon S. GRIFFITH-JONES (1996, p 144) et P. ARESTIS et M. SAWYER (1997, p 760), l’utilité de la taxe Tobin, serait ainsi d’agir en amont, en réduisant les possibilités qu’une attaque spéculative mineure et temporaire génère une bulle spéculative se transformant en attaque spéculative majeure ([21]). Une hausse du taux de change courant au-dessus de sa valeur normale ne conduirait pas les opérateurs à anticiper la poursuite de la hausse, car le coût de la taxe les dissuaderait d’acheter cette devise dans une proportion suffisante pour alimenter la hausse. Les autorités monétaires seraient ainsi en meilleure position pour intervenir et maintenir la stabilité du taux de change, et finalement le volume des transactions taxées serait faible. La taxe Tobin contribuerait positivement à la stabilisation des taux de change en agissant comme une "institution réductrice d’incertitude" à travers l’influence qu’elle exercerait dans la formation des anticipations ([22]).

Si, malgré tout, la taxe Tobin ne parvient pas à empêcher un écart persistant du taux de change courant par rapport à son taux de référence, on peut alors envisager d’augmenter le niveau de la taxe. C’est le sens de la proposition de P.B. SPAHN (1996) pour qui la taxe doit être associée à une bande de fluctuation des taux de change du type S.M.E. Tant que le taux de change courant reste à l’intérieur de la bande, une taxe minimale serait prélevée. Par contre, dès que le taux de change sort de la bande ([23]), une taxe élevée serait appliquée. Dans l’esprit de P.B. SPAHN, la taxe élevée fonctionnerait comme un dispositif automatique connu à l’avance des opérateurs, ce qui renforcerait l’aspect dissuasif de la taxe. Avec le temps, la crédibilité du dispositif pourrait conduire à ce qu’il ne soit jamais appliqué. Les taux de change pourraient ainsi s’adapter de manière graduelle aux déterminants macro-économique de long terme, tels que les changements de productivité, ce qui éviterait la détermination de cours irréalistes, tout en évitant les fluctuations brusques de court terme pouvant dégénérer en mouvement de panique.

Même dissociée de la création d’une bande de fluctuation, il reste possible d’augmenter provisoirement le niveau de la taxe en cas d’attaque spéculative majeure et de l’annoncer par avance afin de dissuader les attaques spéculatives majeures. Il est évident que si les spéculateurs anticipent une dévaluation de 10 % d’une monnaie dans les semaines à venir, un faible taux de la taxe Tobin ne sera pas suffisamment dissuasif. Une taxe élevée, de l’ordre de 5% serait alors provisoirement nécessaire, accompagnée de mesures d’exemption pour les opérations de change liées au commerce et à l’investissement international. On touche cependant aux limites de ce que peut réaliser la taxe Tobin, ce qui justifie, selon nous, qu’en cas de fuite des capitaux de l’ampleur de celle du Mexique en 1994-95, ou de l’Asie du sud-est en 1997, des mesures supplémentaires de contrôle des changes soient adoptées.

2 Quel doit être le niveau de la taxe ?

La taxe a pour vocation de contribuer à stabiliser les taux de change en période de tranquillité des marchés. J. TOBIN (1978) pensait initialement qu’une taxe de 1% serait nécessaire pour atteindre cet objectif. Plus récemment (1996, p xvii), il s’est rallié à l’idée d’une taxe beaucoup plus faible, « ... ne devant pas dépasser 0,25% et peut être de l’ordre de 0,1%, car sinon la taxe dépasserait la commission normale ». A l’origine de cette évolution, se trouve un arbitrage à réaliser entre l’impact sur la structure des marchés, et la capacité de la taxe à inhiber la spéculation.

Une taxe d’un faible montant sera très « market friendly », pour reprendre l’expression de D. FELIX (1999), dans le sens où elle permettra à un grand nombre d’opérations interbancaires de subsister, celles qui permettent aux banques de se couvrir contre les positions de change et d’assurer la liquidité des marchés. Dans la mesure où les coûts de transaction moyens entre banques, mesurés par le spread entre le cours acheteur et le cours vendeur, sont de l’ordre de 5 points de base (soit 0,05%) ([24]), une taxe de 1 à 3 points (soit de 0,01% à 0,03%) ne devrait pas bouleverser la structure actuelle du marché des changes.

Une taxe plus élevée (0,1%-0,25% par exemple) aurait pour conséquence une concentration du marché en faveur des grandes banques. En effet, plus le volume des transactions effectuées par une banque dans différentes devises est élevé, moins elle doit conserver de réserves en devises en proportion du montant de ses échanges avec ses clients, et moins elle doit effectuer de transactions pour maintenir une liquidité suffisante dans chaque devise. Par conséquent, si le coût de transaction sur chaque opération nécessaire au maintien de sa liquidité augmente, une banque cherchera à effectuer des transactions portant sur des montants élevés, ce qui réduira le nombre de banques. J. FRANKEL (1996, p 65) estime qu’une taxe élevée pourrait conduire le marché des changes à adopter un fonctionnement comparable à celui des marchés des titres, où les consommateurs finals échangent directement entre eux à travers un système électronique sur des marchés organisés et structurés. Le marché des changes deviendrait un marché gouverné par les ordres (customer-driven) comme de nombreux marchés de titres, afin de faire baisser les coûts de transaction liés aux intermédiaires.

Une telle évolution ferait disparaître la distinction entre marché de gros et marché de détail, car un marché dirigé par les ordres facilite la gestion des petits ordres en favorisant « ...l’équité entre les différents investisseurs et les différents ordres, car il existe un prix unique à un moment donné » (V. REVEST, 1999, p 13). Un marché dirigé par les ordres aurait aussi pour effet de réduire considérablement le nombre de transactions de change. A l’heure actuelle, chaque ordre de change adressé par un client à une banque engendre de 4 à 5 transactions de change inter-banques, (10 selon certaines estimations), chacun se repassant la « patate chaude » jusqu’à ce qu’un agent accepte d’endosser le risque de change. La réduction de la chaîne des transactions conduirait à mettre plus directement en relation celui qui cherche à se prémunir contre le risque de change et celui qui l’accepte. Ainsi la taxe ne supprimerait pas la fonction traditionnelle des marchés, de transmission des risques de ceux qui veulent s’en protéger vers les spéculateurs qui veulent l’assumer pour en tirer profit, mais elle réduirait le champ de manœuvre de la spéculation en réduisant les ordres en cascades entre agents financiers.

La liquidité du marché serait assurée par les clients eux-mêmes, et non plus par les intermédiaires, à travers une limitation du montant des ordres.

Rien ne prouve qu’un tel marché serait moins efficient. Pour les marchés d’actions, « la recherche analytique n’a pas établi clairement de supériorité d’une forme particulière de structure de marché... » (R.A. SCHWARTZ, 1988). Dans le cas du marché des changes, J. FRANKEL reste, lui-aussi, indéterminé (1996, p 66) en observant qu’il est difficile d’affirmer qu’un marché des changes dirigé par les ordres serait plus efficace que le marché des changes actuel, mais qu’en même temps, rien ne garantit que le changement serait pour le pire.

Quoiqu’il en soit, le niveau exact de la taxe est difficile à estimer a priori, du fait de l’absence de précédent. Une méthode pragmatique consisterait à fixer la taxe à un niveau faible, 2,5 points de base par exemple, et à l’augmenter progressivement jusqu’à l’effet de la taxe soit suffisant, peut-être à 10 points de base ou plus. L’augmentation de la taxe entraînerait une réduction de la chaîne des transactions, du type de transactions (swaps, produits dérivés) et du nombre de banques. Les banques et courtiers seraient les grands perdants ce qui explique leur hostilité à la taxe Tobin. La raison d’être de leur activité sur les marchés des changes est justement l’instabilité des taux de change. Les analystes de Salmon Brothers l’expliquent clairement : « Logically, the most destabilising environment for an institutional house is a relatively stagnant rate environment » (Walmsley, 1988, p 13). Mais les gagnants seraient les clients finals qui, dans la mesure où la taxe parviendrait à stabiliser les taux de change, n’auraient plus autant besoin de se couvrir contre le risque de change en faisant appel aux instruments de couverture coûteux.

3. Les recettes fiscales.

Les recettes fiscales collectées permettraient de financer des politiques de sociales et environnementales à l’échelle nationale, et internationale. Ce dernier avantage, qui n’est considéré que comme un "by-product" par J. Tobin et non pas la justification première de la taxe, n’en est pas moins considérable.

L’ampleur des recettes fiscales est difficile à estimer, car elles dépendent du niveau de la taxe et du niveau initial des coûts de transaction avant taxe. Plus le niveau de la taxe est élevé, plus l’assiette de la taxe diminue, du fait de la réduction du volume des transactions. Mais cette réduction dépend aussi du niveau initial des coûts de transaction avant taxe. Si ces coûts de transaction initiaux sont élevés, l’introduction de la taxe ne diminuera que faiblement le volume des transactions. Si, par contre les coûts de transaction initiaux sont faibles, l’introduction de la taxe réduira fortement le volume des transactions.

Une façon simple d’évaluer les coûts de transactions avant taxe, est de considérer qu’ils sont égaux aux commissions interbancaires sur le marché de gros. Comme on l’a vu, de nombreux auteurs les estiment à 5 points de base, soit 0,05%. Si l’on part du principe, comme le fait H. BOURGUINAT, (1999, p 734-735) que la taxe ne doit pas bouleverser la structure du marché des changes, le niveau de la taxe doit être compris entre 1 et 3 points. Une taxe aussi faible n’augmenterait pas significativement les coûts de transactions initiaux et pourrait être assimilée par le marché. Retenant une taxe de 0,025%, et faisant l’hypothèse, hautement improbable, d’une réduction de 50% du total des transactions, H. BOURGUINAT obtient, sur la base d’un volume quotidien de 1 500 milliards de $ par jour (B.R.I., 1998), une somme de 45 milliards de $ par an (1500/2 * 240jours *0,00025). Cette estimation peut être considérée comme un minimum, si l’on envisage comme P.B. SPAHN, une taxe à double taux, qui pourrait augmenter sensiblement les recettes en fonction du nombre et de la durée des phases de tension.

Un autre mode de calcul, plus élaboré, a été réalisé par D. FELIX et R. SAU (1996). Les auteurs envisagent que les transactions officielles soient exemptées de la taxe ce qui conduit à une réduction de 10% du volume des transactions. Une autre baisse de 25% proviendrait du contournement de la taxe, par un moyen ou par un autre. Ils retiennent des coûts de transaction avant taxe beaucoup plus élevés, 0,5% et 1,0%, ce qu’ils justifient sur le plan conceptuel (1996, p 243). Les coûts de transaction doivent prendre en compte l’ensemble de la chaîne des transactions de change provoquées par un ordre initial d’un agent non financier, les coûts de recherche et la prime de risque, enfin les coûts de transaction facturés au client sur le marché de détail sont largement supérieurs à 0,1%.

A partir d’une fourchette de coûts de transaction de 0,5% à 1%, il est possible d’envisager un niveau de taxe beaucoup plus élevé, 0,25%. Pour en minimiser le choc sur le volume des transactions, celle-ci serait introduite progressivement, le niveau augmentant de façon incrémentale sur une phase de 4 ans. Cette application progressive ne serait pas nécessaire pour des niveaux de taxe plus faibles, de l’ordre de 0,1% voire 0,05%, pour lesquels les auteurs font l’hypothèse d’une baisse des transactions de l’ordre de respectivement 49% et 13% du volume des transactions.

Sur la base de ces hypothèses les recettes seraient de l’ordre de 381 à 496 milliards de dollars en 1998 pour une taxe élevée de 0,25%, de 187 à 227 milliards de $ pour une taxe de 0,1%, et de 113 à 122 milliards de $ avec une taxe minime de 0,05 % (voir tableau en annexe) ([25]), c’est-à-dire des sommes considérables.

Ces calculs sont bien évidemment arbitraires du fait du nombre d’hypothèses qu’il faut formuler en raison de l’absence d’expérience passée. Il est toujours possible de souligner leur fragilité pour discréditer à bon compte l’utilité de la taxe Tobin. Mais ils offrent l’intérêt de donner des ordres de grandeur. Ainsi, même si l’on retient l’estimation la plus conservatrice, celle de H. BOURGUINAT, les recettes fiscales restent d’un montant suffisant pour financer des projets utiles tels que la satisfaction des besoins de base des pays en développement de l’ordre de 30 à 40 milliards de $ par an selon le PNUD (1994).

La répartition de ces recettes entre les pays, les institutions nécessaires à leur gestion, ainsi que leur utilisation, restent des questions ouvertes devant faire l’objet d’investigations supplémentaires, mais ne constituent pas, en elles-mêmes, des obstacles sérieux à la faisabilité de la taxe.

4 L’autonomie des politiques monétaires.

Les politiques monétaires nationales regagneraient une certaine autonomie par rapport à la situation actuelle. La taxe permettrait, dans une certaine mesure, de soustraire les taux d’intérêt nationaux à la nécessité de défendre la parité de la monnaie. Il ne serait plus nécessaire d’augmenter dans la même proportion les taux d’intérêt pour défendre le taux de change. La politique monétaire pourrait être plus aisément mise au service de l’investissement.

L’effet bénéfique, souvent rappelé par J. Tobin, serait cependant très dépendant du montant de la taxe, et agirait surtout en courte période.

Le tableau présenté en annexe permet d’apprécier la portée de l’autonomie monétaire regagnée. Jusqu’à 0,1% , cette autonomie est faible, puisque, par exemple, une taxe de 0,1% permettrait théoriquement à une banque centrale d’offrir un actif à 3 mois à un taux d’intérêt domestique inférieur de 0,8% par rapport à un actif étranger comparable, sans encourir de sorties de capitaux.

Par contre, en cas de crise de change, une taxe d’un niveau élevé, 1% par exemple, permettrait d’éviter d’augmenter trop fortement les taux d’intérêt, puisque l’écart de taux d’intérêt pourrait atteindre 8% sur un actif à 3 mois, 26% pour un mois et des niveaux prohibitifs à plus court terme. Pour autant la taxe ne suffirait pas empêcher, à elle seule, une fuite massive de capitaux et devrait s’inscrire dans un ensemble plus vaste de contrôle des capitaux et des changes, comme nous l’indiquons en conclusion.

La contribution de la taxe à l’autonomie de la politique monétaire est donc plus modeste que ne le pensait J. TOBIN, ce qui souligne la nécessité de reconstruire une nouvelle architecture financière internationale qui résolve le problème de l’impossible trinité de R. MUNDELL en restreignant la mobilité des capitaux.

5 FAISABILITE ECONOMIQUE DE LA TAXE TOBIN.

Une critique courante adressée à la proposition de taxe Tobin est qu’elle serait impossible à mettre en place, en particulier à collecter, pour les raisons suivantes :

Les paradis fiscaux et les places offshore permettraient d’échapper facilement à la taxe.

L’ingénierie financière permettrait de créer facilement de nouveaux produits financiers permettant d’éviter des transactions sur le marché des changes, et donc de contourner la taxe. C’est notamment le cas des produits dérivés échangés de gré-à-gré, comme le souligne O. DAVANNE (1999).

Comme tout impôt, la taxe entraînerait une bureaucratisation coûteuse et des pratiques de corruption.

Ces critiques touchent à des problèmes réels, et il serait faux de prétendre que l’instauration de la taxe se ferait sans difficultés. Malgré tout, il existe des solutions pratiques aux problèmes évoqués permettant d’affirmer que la faisabilité technique n’est pas un obstacle rédhibitoire.

La réponse à ces critiques se situe au niveau du mode de collecte de la taxe.

P. KENNEN (1996) distingue le lieu de négociation des transactions de change (la salle de marché, trading room), le lieu d’enregistrement comptable (le siège social dans le pays d’origine, booking site) et le lieu de règlement (settlement site). Il envisage que la taxe soit collectée sur le lieu de négociation du contrat de change. Le premier avantage de cette proposition tient à ce que les salles de marché sont moins concentrées du point de vue géographique que les sièges sociaux des banques, ce qui assurerait une diffusion plus large des lieux de collecte de la taxe. Le deuxième est que la délocalisation des salles de marché dans des pays n’appliquant pas la taxe serait très coûteuse car les infrastructures, l’équipement, et le personnel qualifié nécessaires ont un coût élevé. P. KENNEN écarte la possibilité de prélever la taxe sur le lieu de règlement car en général les positions de change des banques sont compensées avant le règlement, et seuls les soldes nets sont ensuite échangés (netting), à moins que le système de paiements utilise une procédure traitement en temps réel des ordres bruts ([26]). Pour P. KENNEN (p 112), prélever la taxe sur le lieu de règlement conduirait à une réduction trop forte de l’assiette de la taxe, et ne permettrait pas de distinguer suffisamment clairement les opérations de change « pures » des opérations sur titres libellés en monnaies différentes.

Cependant, la proposition de P. KENNEN a pour inconvénient principal de reposer sur la seule bonne volonté des opérateurs d’enregistrer les opérations de change effectuées par leur banque, avec pour seule possibilité, un contrôle a posteriori de la trace papier, ce qui ménage trop de possibilités de fraude.

Par ailleurs, les systèmes de paiement entre banques et autres agents financiers font l’objet d’innovations techniques majeures qui permettent de réunir trois conditions indispensables à une collecte efficace de la taxe :

La possibilité d’identifier les paiements bruts effectués dans le cadre du règlement d’une transaction de change ;

La possibilité de collecter la taxe même si les règlements sont effectués à travers un système de paiements offshore ;

La possibilité de taxer les sous-jacents correspondant aux produits dérivés de change.

C’est pourquoi il apparaît aujourd’hui plus efficace de prélever la taxe sur le lieu de règlement du contrat de change à travers les systèmes de paiement électronique qu’utilisent tous les agents financiers, notamment les banques. R. SCHMIDT (1999), a fait une proposition élaborée en ce sens que nous reprenons ici.

Pour comprendre sa démarche, il est nécessaire de rappeler qu’un système national de paiement est constitué de deux voire trois institutions étroitement liées. La première est le système de paiement des montants élevés (large-value payment system), qui utilisent des messageries électroniques comme par exemple le système SWIFT ([27]). La deuxième est le système de paiement par compensation (payment netting system). Ce système permet d’identifier les ordres de banques différentes qui se compensent mutuellement, ce qui permet de limiter l’envoi de messages dans le système de paiement des montants élevés. Le troisième est constitué par les chambres de compensation des échanges de titres (clearinghouses for securities exchanges), dans la mesure ou des titres sont échangés pour effectuer des paiements. Du fait de leur importance, ces trois institutions sont soumises à réglementation et sont supervisées par la banque centrale de chaque pays. Elles possèdent les deux propriétés suivantes :

La première est de transmettre les messages individuels ou groupés au fur et à mesure qu’ils arrivent dans le système. Cette propriété est connue sous le nom de « règlement brut en temps réel continu » ([28]). Les systèmes de paiement qui n’ont pas cette propriété laissent les messages s’accumuler dans une « corbeille », et les traitent ensuite par lots à intervalles plus ou moins rapprochés.

La deuxième est que le système apparie chaque message et sa contrepartie de façon à ce que les deux paiements d’une transaction aient lieu simultanément. Cette propriété est connue sous le nom de règlement « paiement contre paiement » ([29]), ou dans le cas d’un actif, de règlement « livraison contre paiement » ([30]).

Ces deux propriétés éliminent le risque de règlement car les deux paiements engendrés par une transaction monétaire ou financière domestique sont réalisés simultanément, ou aucune ne l’ait. Or l’élimination du risque de règlement est particulièrement importante pour assurer l’interconnexion et la fluidité des systèmes monétaires et financiers actuels. Les systèmes de paiements des pays du G10 et d’un nombre croissant de pays émergents, comme la Thaïlande, la Malaisie, la Corée, Hong Kong, et bientôt la Chine les ont adoptées.

Ces deux propriétés présentent aussi l’intérêt de pouvoir identifier les transactions réalisées dans des devises différentes, et qui donc influeront sur le taux de change.

Prenons un exemple de transaction interbancaire nationale. Une banque française A veut acheter un Bon du Trésor à une banque B qui cherche à en vendre un. Après accord la banque A envoie un ordre de paiement à travers le système SWIFT lui instruisant de débiter son compte auprès de la Banque de France et de créditer le compte de la Banque B auprès de la Banque de France. La banque B envoie aussi un ordre à travers le système SWIFT lui instruisant de transférer la propriété d’un Bon du Trésor à la Banque A. SWIFT compare les deux ordres et demande confirmation auprès des deux banques. Après réception des messages de confirmation, SWIFT effectue simultanément le paiement en euro et le transfert du Bon du Trésor. Tout est réalisé électroniquement et automatiquement. En appariant le paiement et le transfert, SWIFT observe que les deux ordres sont libellés en euros ce qui lui permet d’identifier une transaction domestique. Par conséquent il n’y a pas lieu de collecter de taxe sur une transaction de change.

Supposons maintenant que la Banque A téléphone à une banque américaine, la banque C, pour acheter des dollars contre euros. Tout établissement bancaire intervenant sur le marché des changes, doit disposer d’un réseau de banques correspondantes afin de pouvoir, par leur intermédiaire, verser ou recevoir les devises qui auront été négociées sur le marché des changes. Supposons que la banque française B est le correspondant en France de la banque américaine C. Après accord, la banque française A enverra un ordre à SWIFT lui enjoignant de transférer une certaine quantité d’euros à la banque B, sur le compte qu’elle détient à la Banque de France. De son côté la banque américaine C demandera par exemple à FEDWIRE, le système de paiement des montants élevés des Etats-Unis, de transférer l’équivalent en dollars sur le compte que le correspondant américain de la banque A détient auprès de la Réserve Fédérale. A Paris, SWIFT demande confirmation à la banque A de l’ordre de paiement en faveur de la banque B, et après réception de la confirmation, effectue le paiement en euros. Mais, ne pouvant détecter de contrepartie en euros, SWIFT identifie l’ordre de paiement à la banque B comme une transaction de change et procède à la collecte de la taxe sur les transactions de change. Le produit de la taxe sera déposé sur un compte spécial de la Banque de France. De nouveau, tout est réalisé électroniquement et automatiquement.

Ces propriétés des systèmes de paiement domestiques connaissent un processus d’extension à l’échelle internationale grâce à la création de messageries électroniques internationales.

En Europe, le système de messagerie TARGET ([31]) mis en place sous la surveillance de la B.C.E. va permettre d’appliquer les propriétés RTGS et PVP aux transactions entre pays membres de la zone euro. Le système de messagerie anglais, CHAPS, qui est le deuxième système par importance après le système américain FEDWIRE, pourra se connecter au système TARGET.

Un projet plus ambitieux piloté par les 20 plus grandes banques du monde, vise à créer, en l’an 2000, une banque de règlements globalement centralisée, (Continuous Linked Settlement, CLS, Bank) ce qui faciliterait encore plus la collecte de la taxe. Cette banque de règlements devra gérer une messagerie mondiale mettant en œuvre le système PVP pour les transactions de change brutes de montants élevés, alors qu’actuellement le système PVP ne fonctionne que pour les systèmes de compensations multi-devises (multicurrency netting systems), c’est-à-dire les transactions nettes. La situation actuelle s’explique par le fait que les deux ou trois systèmes de paiement de montants élevés, nécessaires pour régler n’importe quelle transaction de change, fonctionnent selon des fuseaux horaires différents. Avec la banque CLS, les systèmes de paiements de montants élevés domestiques pourront identifier et taxer directement les transactions de changes brutes, car les paiements libellés dans des monnaies différentes mais provenant de la même transaction, seront appariés et traités simultanément, comme dans un système de paiement domestique. Cela remplacera l’ancienne méthode indirecte d’identification des transactions de change, qui repose sur l’impossibilité d’apparier un paiement domestique par sa contrepartie libellée dans la même monnaie.

Quel sont les avantages d’un tel mode de prélèvement de la taxe ?

Le premier avantage est de prendre en compte l’ensemble des transactions de change, que ce soit les transactions au comptant, les transactions à terme, les transactions sur produits dérivés, ou les transactions sur titres libellées en devises différentes. La plupart de ces opérations nécessitent une transaction de change, et seront donc taxées à travers le système de paiement. Les exceptions concernent, par exemple, les options de change, qui peuvent n’être jamais exécutées, auquel cas le paiement du principal n’a pas lieu. Cependant, les options sont achetées à un prix qui reflète leur valeur, et le paiement réalisé pour acheter l’option peut être taxée.

Le deuxième avantage tient à ce que les banques centrales peuvent réguler les systèmes de compensation offshore (offshore netting system) et les contraindre à appliquer leur régulation, ce qui permettrait de collecter la taxe. Le droit des banques centrales de réguler individuellement et collectivement les systèmes de compensation offshore a été codifié en 1990 dans le cadre des « standards minimums LAMFALUSSY » par le « Comité des systèmes de compensation interbancaire des banques centrales du groupe des 10 pays », et confirmé par le même comité en 1998. les banques centrales peuvent refuser l’accès à leur système domestique de paiement à tous les systèmes de compensation qui refuseraient d’appliquer leur réglementation, et sanctionner les banques privées membres de leur système de paiement domestique qui en seraient membres. Cette menace de sanction est crédible car les systèmes de compensation offshore ne peuvent procéder au règlement d’une transaction de change s’ils n’ont pas accès au système de paiement domestique. Par ailleurs les banques ne sont pas acceptées comme membre d’un système de compensation offshore si elles ne participent pas au marché des changes interbancaire , ce qui signifie être membre du système de paiement domestique. Enfin les systèmes de compensation offshore ont besoin d’une tierce partie qui est, dans la plupart des cas, la société SWIFT. Pratiquement toutes les activités de compensations électroniques sont accessibles par l’intermédiaire de SWIFT, ce qui, permet une intégration mondiale du système de communication qui peut être contrôlée par le réseau des banques centrales.

Le troisième avantage concerne le type d’actifs faisant l’objet de transactions de change, notamment le produits dérivés. Si le principe général est que la taxe est prélevée sur le lieu de règlement, il n’est plus décisif de déterminer si ce qui est échangé est un instrument de change classique ou un actif financier quelconque, car du point de vue du système de paiement tout se ressemble à partir du moment où la transaction entraîne un échange de devises. Si une transaction sur un produit quelconque, comme les « structured credit notes » utilisés par les banques en Asie et analysées par J. KREGEL donne lieu à un échange de devises, alors cet échange sera taxé via le système de paiement. Si un produit dérivé permet de contourner le marché des changes, la taxe ne sera pas collectée, mais les taux de change ne seront pas affectés, ce qui est exactement le but poursuivi par la « taxe Tobin ». Si l’achat d’une option de change ne conduit pas à une transaction de change car l’acheteur ne souhaite pas l’exercer, alors il n’y aura pas de transaction de change et pas d’effet sur les taux de change. Par contre si l’option est exécutée, on peut envisager de taxer le prix d’achat de l’option, ce qui peut affecter la décision de l’exécuter (R. SCHMIDT, p 23). D’une manière générale, des produits dérivés de plus en plus complexes et discrets pourraient être imaginés, mais ils risquent d’être de plus en plus coûteux et de moins en moins liquides, à cause leurs caractéristiques de plus en plus spécifiques, alors que les marchés de change au comptant et à terme sont au contraire très liquides. Et comme le font remarquer J. TOBIN et P. KENNEN, tout cela pour échapper à une modeste taxe sur le marché des changes ! Très vite, le jeu risque de ne pas en valoir la chandelle.

Le quatrième avantage du prélèvement de la taxe sur le lieu de règlement tient au faible coût administratif. Il suffirait de modifier les systèmes informatiques pour que la taxe soit automatiquement prélevée et versée sur un compte spécial de la banque centrale. Peu de bureaucratie, ou pas plus que pour un impôt tel que la T.V.A, et peu de danger de corruption.

Les quatre avantages liés à la collecte de la taxe sur le lieu de prélèvement répondent aux critiques essentielles concernant la faisabilité pratique, même si tous les problèmes ne sont pas résolus. Mais qu’en est-il de la faisabilité politique ?

6 La faisabilité politique de la taxe.

Sur le plan de la faisabilité politique, une critique courante est qu’il faudrait un accord international, impliquant le plus grand nombre possible de pays, ce qui est irréaliste. En fait, la forte concentration du marché des changes limite le nombre de pays nécessaires à la mise en œuvre de la taxe. Le rapport de la B.R.I de 1998, montre que les 8 premiers pays représentaient plus de 80% du marché des changes, et les 4 premiers pays, 65%. Au niveau national, la concentration du marché est aussi très élevée, ce qui faciliterait l’application de la taxe. Sur le marché londonien, le plus important du monde, les 10 premiers intervenants réalisaient 50% du marché, idem aux Etats-Unis, mais sur les marchés de taille moyenne, comme la France, la concentration est encore plus élevée. Les 10 premiers opérateurs y réalisent 80% du marché.

Le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling et le franc suisse représentant 88% des transactions mondiales de change, l’adoption de la taxe par ces seuls pays serait suffisante pour couvrir pratiquement toutes les transactions mondiales. On pourrait envisager que ces autorités adoptent une taxe de 0,1% divisée en 0,05% de chaque côté de la transaction s’il s’agit de deux monnaies de deux pays qui appliquent la taxe, et un taux plus élevé de 0,1% appliqué à une monnaie d’un pays n’appliquant pas la taxe.

Dans le même ordre d’idée, une autre proposition a été formulée pour ne pas rester paralysé par l’obstacle considérable que représente l’accord des 8 premiers pays. Proposée par H. Patomäki (1999), elle envisage une mise en œuvre en deux temps. Une région du monde comme l’Europe (la zone euro, les autres pays de l’U.E., et d’autres pays d’Europe ou d’ailleurs), pourrait prendre l’initiative de mettre en œuvre la taxe avec tous les pays du monde qui le souhaitent et créer ce que l’on pourrait appeler une "zone Tobin". Tous les membres de la "zone Tobin" appliqueraient une taxe Tobin sur chaque transaction de change (entre l’euro et les monnaies des autres pays membres n’utilisant pas l’euro) à un niveau réduit. Par contre, pour toutes les transactions de change entre la "zone Tobin" et le reste du monde, une taxe Tobin d’un niveau significativement plus élevé serait appliquée. Les pays non membres de la "zone Tobin" seraient de la sorte incités à demander leur adhésion. Après adhésion des principaux pays de la planète, une seule et même taxe serait appliquée. Le poids économique de l’Europe permet de penser qu’un boycott économique et financier de la part de la finance internationale ne pourrait pas être durable.

7 CONCLUSION : Les limites de la « taxe Tobin ».

Comme nous l’avons vu, la taxe est efficace contre des attaques spéculatives de faible ampleur, en les dissuadant de manière préventive. Mais elle est impuissante face à des entrées massives de capitaux spéculatifs, et en cas d’attaques spéculatives majeures débouchant sur des fuites de capitaux. Pour les mêmes raisons, la baisse des taux d’intérêt domestiques ne peut être que réduite.

C’est pourquoi la taxe doit être complétée par des mesures complémentaires de contrôle des capitaux, de caractère exceptionnel ou permanent. Ces mesures ont été appliquées dans un proche passé par des pays développés dont la France, et certaines le sont encore dans des pays en développement. Les pays asiatiques qui ont été les moins touchés par la crise comme la Chine, Taiwan et l’Inde, sont d’ailleurs ceux qui ont maintenu un contrôle des capitaux plus ou moins strict.

Pour comprendre l’intérêt de ces mesures, il convient de les distinguer selon leur caractère d’urgence, leur action sur le court terme ou le long terme, et leur caractère national ou international.

Une première mesure concerne la limitation des entrées de capitaux de court terme dans un pays. Une entrée massive de capitaux de court terme provoque une surévaluation du taux de change qui freine les exportations et stimule les importations, les emprunts à l’étranger, la hausse du taux d’intérêt, au détriment de l’emploi. Une dépendance envers l’endettement à court terme peut s’engager, véritable bombe à retardement. A la longue, le déficit commercial, lorsqu’il atteint un niveau critique, fait craindre une dévaluation, et peut provoquer une fuite des capitaux, comme en Thaïlande en 1997. Face à cela, il est justifié de limiter les entrées de capitaux à court terme de façon durable, ce qui peut être décidé de manière unilatérale par un seul pays, même si cette mesure gagne à être adoptée à l’échelle régionale. C’est ce qu’ont fait le Chili (1991-1997) et la Colombie (1993-1996). Au Chili, tout flux qui entrait devait constituer une réserve de 30% du montant total, non rémunérée, auprès de la Banque Centrale, pendant un an. D’autres mesures concernaient les obligations émises par des entreprises chiliennes sur les marchés financiers étrangers (durée minimale de quatre ans et dépôt de réserve). Si l’effet sur l’appréciation du taux de change a été mitigé et de courte durée, le Chili et la Colombie ont connu une croissance stable, l’endettement à court terme le plus faible de la région, et ont été parmi les moins affectés par la crise financière mexicaine le 1994-1995 ([32]).

Une deuxième série de mesures concerne les sorties de capitaux. Elle consiste à établir un contrôle des changes, qui consiste à restreindre la liberté d’achat et de vente de la monnaie locale afin de prévenir ou d’enrayer une fuite des capitaux pouvant se traduire par un effondrement du taux de change. En cas de fuite des capitaux, ou simplement en cas de menace de fuite, la seule arme dont disposent les gouvernements qui respectent la liberté des changes, est l’augmentation des taux d’intérêt, parfois à des niveaux astronomiques, qui provoquent des vagues de faillites et de licenciements. C’est ce qui s’est passé en Asie du sud-est en 1997, lorsque certaines monnaies ont perdu jusqu’à 50% de leur valeur, ou au Brésil au début de 1999. La Malaisie a été le seul pays asiatique à instaurer un contrôle des changes pour enrayer la fuite des capitaux et la chute de sa monnaie. Le 1er septembre 1998, le taux de change de la monnaie locale, le ringgit, vis-à-vis du dollar, a été fixé unilatéralement par les autorités. Un délai d’un mois a été instauré pour le rapatriement des ringgits en circulation à l’extérieur du pays. Pour contrer la spéculation internationale, toutes les ventes et achats d’actions et d’obligations libellés en ringgit ont été rapatriées et centralisées à la bourse de Kuala Lumpur. Il a été imposé aux étrangers achetant des actions et obligations en Malaisie, de les détenir au moins un an avant de pouvoir les revendre. Il est devenu interdit de contracter de nouveaux crédits étrangers et les paiements à l’étranger ont été plafonnés et soumis à autorisation. La convertibilité du ringgit est devenue restreinte aux activités commerciales, à l’exclusion des activités financières. L’intérêt de telles mesures est, outre d’enrayer la chute du taux de change, d’autoriser une baisse du taux d’intérêt, ce qui permet de limiter les faillites des banques et des entreprises, et par conséquent les licenciements, à l’opposé des plans du FMI. Bien qu’il soit trop tôt pour tirer un bilan définitif, on constate que la Malaisie a réussi à stabiliser son économie.

Ces mesures de contrôle de capitaux, dont on trouvera une liste non-exhaustive dans le tableau ci-dessous, sont en but à l’hostilité ouverte des ultralibéraux et de la finance internationale. Les critiques sont de deux ordres : les contrôles de capitaux sont inefficaces et injustes.

En ce qui concerne l’efficacité des contrôles, le FMI (1998) lui-même reconnaît que les contrôles sur les achats et ventes d’obligations, ainsi que sur les crédits bancaires, peuvent être efficaces et permettre de pratiquer des taux d’intérêt nationaux plus faibles que les taux d’intérêt internationaux, au moins à court terme. Mais à long terme, le FMI estime qu’en définitive le secteur privé mettra au point des techniques permettant de contourner les contrôles. Cette affirmation est critiquable et n’est pas démontrée de façon irréfutable. Rien n’empêche l’Etat de modifier sa réglementation pour contrer les tentatives du secteur privé d’échapper au contrôle des capitaux. Il pourrait, dans cette tentative, s’appuyer sur la vigilance des salariés des secteurs bancaire et financier. Enfin, pour ce qui concerne les achats et ventes d’actions, ainsi que les investissements directs étrangers, le FMI admet qu’il n’y a pas de difficultés pour un pays à exercer un contrôle efficace, dans la mesure où les changements de propriété d’une entreprise doivent être dûment enregistrés auprès des autorités publiques. Notes 19) Voir J. TOBIN, 1978, 1996, et plus récemment, l’interview accordée au "Monde" du 17/11/98. [20]) On fait le calcul suivant : (1.002)240, en retenant une année de 240 jours. [21]) « The Tobin Tax could help to avoid the build up to crisis ». S. GRIFFITH-JONES, 1996, p 144

[22]) En utilisant la terminologie de J. Hicks, (1946) la taxe contribuerait à ce que l’élasticité des anticipations reste inférieure à un. [23]) Plus précisément, dès que le taux de change courant dépasse, d’un certain pourcentage, la moyenne mobile des valeurs passées récentes du taux de change.

[24]) D’après J. Frankel (1996, p 61), le coût de transaction entre une banque et un agent non bancaire (une entreprise par exemple) est de 0,1%, soit 10 points de base. Le coût de transaction interbancaire est de la moitié, soit 5 points de base ou encore 0,05%. D. FELIX et SAU (1996) et H. BOURGUINAT (1999), avancent aussi ces mêmes chiffres.

[25]) Les calculs de D. FELIX et R. SAU ont été effectués, sur une base de 250 jours ouvrables à partir des données de la B.R.I. de 1992, et les données provisoires de 1995. Nous avons actualisé ces estimations à partir des données définitives de la B.R.I. disponibles en 1998. [26]) voir infra, le système RTGS.

[27]) Depuis 1973, les banques internationales ont créé une société coopérative de droit belge, SWIFT (Society for Worldwide International Interbank Telecommunication) qui avec les progrès techniques réalisés dans le domaine des télécommunications, assure un système de paiement électronique interbancaire. 95% des transactions financières internationales transitent par ce système. [28]) Real-Time Gross Settelment », RTGS. [29]) « Payment-Versus-Payment » settlement, PVP. [30]) « Delivery-Versus-Payment » settlement, DVP. [31] ) Trans-European Automated Real-Time Gross Settlement Express Transfer.

[32]) Au Brésil, des mesures différentes mais équivalentes ont été adoptées en août et en septembre 1995 : une taxe de 5% sur les crédits en devises, une taxe de 7% sur les ventes de devises, une taxe de 7% sur les achats d’obligations par les étrangers, une taxe de 15% sur les gains en capital réalisés sur les achats et ventes de titres financiers pour décourager les spéculateurs brésiliens et étrangers. Ce dispositif a ensuite été réduit dans le but d’attirer toujours plus de capitaux étrangers, ce qui a certainement contribué à l’effondrement de la monnaie au début de 1999.

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