Article pour Economie et Politique

Hewlett-Packard : une contre-offensive est nécessaire et possible !

Fabien Maury - mardi 19 octobre 2005

La mobilisation des salariés de Hewlett-Packard (HP), l’émotion suscitée par les saccages des emplois, non seulement par le groupe américain mais aussi dans l’ensemble du secteur des hautes technologies, ont contraint J. Chirac et D. de Villepin a réagir. Pour l’heure, les paroles n’ont quasiment pas été traduites dans les faits.

Cela ressemble de plus en plus à des gesticulations médiatiques sans aucune obligation pour la direction de HP mais dont le seul souci semble de dédouaner la responsabilité gouvernementale alors que le Premier ministre parle de « patriotisme économique ». Cela révèle l’autisme du pouvoir et le refus d’écouter les propositions alternatives qui peuvent être avancées par des militants syndicaux, politiques ou encore des élus de terrain.

La direction de Hewlett-Packard a fait le choix de sacrifier l’emploi. Le nouveau PDG, M. xxxx, annonçait cet été son intention de supprimer 14 500 emplois au niveau mondial, soit 10% de ses effectifs. Au mois de septembre, il précisait leur répartition géographique : 5 969 postes en moins en Europe soit 15% des effectifs et 1 240 emplois concernés en France, soit 26% des salariés. L’ensemble des sites français serait touché (Issy-les-Moulineaux, Massy, Sophia-Antipolis, Eybens, l’Isle d’Abeau).

M. xxxx affichait clairement l’objectif de réduite la masse salariale de 1,6 milliards de dollars de la masse salariale et les avantages sociaux de 300 millions de dollars. C’est ainsi que début octobre, M. yyyy, proclamait son intention remettre en cause unilatéralement les accords de réduction du temps de travail en prétendant l’échanger contre de moindre suppressions d’emplois.

Selon la direction, aucun site ne serait fermé en France. Mais, la baisse des effectifs pourrait poser la viabilité de HP France. Rappelons que, lors du précédent plan de suppressions d’emplois, le site d’Annecy avait été fermé.

Entre 2002 et 2005, après le rachat de Compaq, HP a déjà supprimé 26 200 emplois dans le monde dont plus de 2 000 en France. Si rien n’était fait, entre 2002 et 2007, HP se sera débarrassé de près de 46 000 salariés dont plus de 3 000 en France.

Le choix de la domination américaine contre la France et l’Europe.

L’hypothèse d’un rapatriement de France et d’Europe vers les Etats-Unis des activités de HP semble gagner en crédibilité, tout particulièrement pour la recherche-développement. Plusieurs éléments en attesteraient :

-  l’ampleur des suppressions d’emplois en France et en Europe pourrait être à l’origine d’une perte de maîtrise technologique et/ou de capacité à assumer les objectifs assignés par la direction (les conditions de travail se sont d’ailleurs brutalement dégradées à la suite des précédentes suppressions d’emplois, notamment à Grenoble) ;

-  le refus de HP d’être impliquée dans le pôle de compétitivité « nanotechnologies » localisé dans l’agglomération grenobloise. En fait, malgré les aides massives à la rentabilité qu’impliquent ces « pôles », la direction de HP semble rétive aux engagements que cela supposerait, si minime qu’ils fussent ;

-  la déclaration du nouveau PDG d’HP, Mark Hurd qui souhaite « réduire les effectifs dans les pays à coûts élevés » ;

-  le pompage permanent des brevets et licences réalisées en France, ainsi que les versements massifs de royalties à la maison mère par HP France qui affaiblissent cette dernière ;

-  le rapatriement de 14,5 milliards de dollars issus de bénéfices réalisés hors des Etats-Unis (or , 40% du chiffre d’affaires est réalisé en Europe et 45% aux Etats-Unis, par conséquent, les bénéfices hors des Etats-Unis sont essentiellement réalisés en Europe).

Le choix des marchés financiers.

La restructuration projetée, au détriment des sites français et européens vise un objectif central : sécuriser les rendements financiers pour les actionnaires et pour cela achever de rembourser la dette contractée au moment du rachat de Compaq, tailler des croupières aux concurrents (Dell, IBM etc.).

Entre 2001 et 2004, le chiffre d’affaires de HP a progressé de 77% et son bénéfice net a été multiplié par 5 pour atteindre 3,5 milliards de dollars.

En 4 ans, le groupe a versé 3.37 milliards de dollars de dividendes à ses actionnaires. Et, pour la seule année 2004, il a racheté ses propres actions pour 3.3 milliards d’euros afin de relever leur rentabilité (moins il y a d’actions, plus les dividendes versés par action est important). Simultanément, le groupe aura brûlé 2,3 milliards de dollars en frais de restructurations.

Pour racheter Compaq, HP s’est massivement endetté mettant en difficulté le groupe. Entre 2001 et 2003, la dette à long terme de HP a grimpé de 74%. Afin de satisfaire ses créanciers, HP pratique une thérapie de choc pour se désendetter. Sur la seule année 2004, la dette s’est dégonflée de près de 30% !

On comprend alors mieux l’obsession des PDG successifs à baisser le coût salarial de l’emploi, à réduire les dépenses pour développer les capacités humaines à réduire la voilure de la recherche au mépris de l’avenir du groupe. En 4 ans, la part de la R/D dans le chiffre d’affaires aura chuté de 27%.

L’irresponsabilité sociale de HP est scandaleuse. Cette irresponsabilité sociale joue contre la croissance européenne et contre l’emploi. Les politiques gouvernementales qui se sont succédées ont encouragé un tel comportement, jusqu’aux décisions extrêmement graves d’aujourd’hui. On ne doit pas l’accepter.

Engager, sans attendre, la lutte pour faire autrement.

HP a une lourde dette par rapport à Grenoble, à la France et à l’Europe.

Il est inadmissible que HP, pour accroître les profits financiers des actionnaires, taille ainsi dans les effectifs et dévitalise des sites de production en France et en Europe.

C’est d’autant plus inadmissible que HP a accumulé une « dette sociale, technologique et territoriale » en France. Il a bénéficié massivement de fonds publics, il a écrémé les ressources humaines grâce à l’accès privilégié à des pôles universitaires d’excellence, il a jouit d’une main-d’œuvre hautement qualifiée et d’un savoir-faire de niveau mondial, il a disposé d’infrastructures et de services publics de grande qualité.

Ce comportement irresponsable est aussi contradictoire avec les valeurs que le management de HP prétend défendre : « En tant qu’entreprise citoyenne, HP respecte ses obligations à l’égard de la société en représentant un atout économique, intellectuel et social pour chaque pays et pour chaque communauté où elle opère... Notre entreprise mondiale respectueuse des cultures locales doit permettre à chaque communauté de bénéficier de notre présence. Pour cela, nous nous efforçons de : ... créer des emplois attrayants, générer des exportations et des recettes fiscales... participer aux projets des communautés nous environnant, en donnant de notre art de vivre, de notre savoir-faire, de notre temps et de notre argent... Le mieux-être de la société contemporaine ne doit pas être laissé aux soins de quelques-uns seulement : c’est la responsabilité de nous tous1. »

Il faut responsabiliser socialement et territorialement HP.

Le gouvernement français, les régions et les localités concernées, l’Union européenne, ne doivent pas laisser faire. Il faut refuser les décisions de suppressions d’emplois et la fuite des technologies, des recherches.

Il n’est pas question que les décisions de HP se traduisent par :

-  une augmentation du chômage dans les bassins concernés ;

-  une précarisation accrue des populations ;

-  un affaiblissement du potentiel productif et créatif grenoblois et national.

Aussi, nous proposons :

-  L’institution immédiate d’un moratoire suspensif sur les décisions de restructuration et de suppressions d’emplois d’HP.

Le gouvernement, par l’intermédiaire des préfets régionaux, doit faire suspendre immédiatement le processus engagé par HP de façon à ce qu’un audit contradictoire de l’entreprise, de ses coûts, de ses financements et de ses coopérations soit réalisé. Sur cette base, il s’agira d’évaluer la réalité des raisons avancées par la maison mère et la possibilité d’autres solutions, face aux problèmes invoqués, que les suppressions d’emplois.

-  La réunion d’une table ronde avec obligation de résultats ouverte aux salariés et syndicats de HP mais aussi à ceux des sous-traitants et fournisseurs.

Il s’agira d’étudier les solutions alternatives à la baisse de l’emploi pour traiter les problèmes éventuels de compétitivité et de lourdeur des frais financiers. Dans le cas où des suppressions d’emplois s’avéreraient nécessaires, il s’agira d’exiger de HP :

-  qu’il assure le maintien dans l’emploi modernisé des salariés concernés, avec les formations nécessaires ;

-  qu’il continue de garder à ses effectifs, avec maintien du salaire, les travailleurs dont l’emploi pourrait être supprimé jusqu’à ce qu’ils aient choisi un reclassement, avec la formation si nécessaire.

-  qu’il contribue au re-développement du potentiel productif et technologique dans les bassins d’emplois victimes de son projet de restructuration, avec particulièrement le soutien des sous-traitants et fournisseurs.

Il faut que HP et le gouvernement prennent les dispositions nécessaires à une véritable sécurisation des parcours professionnels de tous les salariés potentiellement victimes de la décision du groupe.

-  La création de Fonds régionaux pour l’emploi et la formation (FREF).

Il viserait, à cette occasion, à mobiliser le crédit dans chaque région pour soutenir la modernisation nécessaire et le développement de toutes les entreprises concernées, y compris HP et ses sous-traitants, en liaison avec des objectifs chiffrés et contrôlables d’emplois et de formations. Ce Fonds, alimenté à partir de lignes du budget régional, prendrait en charge une partie des intérêts versés aux banques par les entreprises concernées d’autant plus que les investissements matériels et de recherche ainsi financés seraient accompagnés de plus de créations d’emplois et de formations.

-  La menace du remboursement des aides publiques perçues par HP.

Le groupe a eu recours massivement à des aides publiques européennes, nationales, régionales et locales. Il doit rendre des comptes aussi bien sur les aides à la recherche, les subventions diverses, les exonérations de Taxe professionnelle, les traitements de faveur fiscaux, les exonérations de cotisations sociales patronales et, y compris, les éventuelles commandes publiques etc. Un inventaire de tous ces transferts doit être dressé dans les plus brefs délais. HP doit les rembourser intégralement s’il maintient ses décisions.

-  La création d’une Commission d’enquête parlementaire sur les stratégies des entreprises multinationales françaises et étrangères en France et leur implication pour l’emploi, la croissance nationale et européenne.

L’hypothèse d’un comportement anti-national et anti-européen de HP, grande multinationale américaine, au profit de la domination américaine est très grave. Face à cela le gouvernement ne peut pas se contenter de répéter, de manière démagogique, qu’il faut faire preuve de « patriotisme économique ». Les choix des multinationales doivent être maîtrisés et responsabilisés. Ce serait le but de cette Commission parlementaire que de porter en débat public un diagnostic et des propositions.

-  La responsabilité de l’Union européenne est engagée.

C’est la Commission européenne qui avait autorisé la fusion entre HP et Compaq. Dans le même temps, elle parle de « responsabilité sociale des entreprises » et de faire de l’Union, « l’économie de la connaissance et de l’information » la plus performante du monde.

La contradiction entre les intentions proclamées et les actes devient intolérable. Une réorientation est nécessaire. Cela passe notamment par :

-  l’organisation de coopérations de co-développement entre entreprises européennes pour la promotion des atouts humains et technologiques des filières industrielles, notamment celles de la révolution informationnelle. Il s’agirait de viser des co-productions pour réaliser des objectifs chiffrés et contrôlables de créations d’emplois, de formations dans chaque pays concernés.

-  l’exigence d’une réorientation de la Banque centrale européenne (BCE) dont les missions actuelles et le statut encouragent les comportements comme ceux de HP. Il s’agit que la BCE contribue, par la sélectivité de son refinancement des banques ordinaires, à faire de l’emploi et de la formation l’objectif prioritaire de l’activité de crédit dans l’Union.