Parti communiste français

Quel chemin ouvrir maintenant pour transformer l’Europe ?

Jean-François Gau, membre du Comité exécutif national du PCF

Le rejet du traité constitutionnel européen par la France et les Pays-Bas, deux pays fondateurs de l’Union européenne, ouvre une nouvelle période pour l’Europe. Cette période est celle d’une possibilité inédite : un débat sur la conception même de l’Union européenne s’engage, et ce débat peut s’ouvrir à l’intervention des peuples, à qui on doit cette nouvelle donne.

Autant dire que cette période est avant tout celle d’un nouveau combat. Car les forces dirigeantes de l’Union européenne font et feront tout pour garder le cap du libéralisme, y compris, si cela devenait nécessaire, en faisant leur le fameux adage du Guépard : « Changer pour que rien ne change. » Elles cherchent des réponses au problème posé, qui priverait les peuples de cette toute première victoire. Elles ont les moyens, si le rapport des forces en Europe ne change pas, de les imposer.

Les forces politiques, syndicales, associatives, les mouvements sociaux qui, dans leur extrême diversité, se battent contre l’Europe libérale sont donc placés devant de très grandes responsabilités. Il leur faut maintenant être capables de contribuer à rendre possible un chemin pour cette transformation, à partir des réalités et des potentiels de la période nouvelle.

Quel pourrait être ce processus, qui ouvre de nouveaux champs d’intervention populaire permettant de modifier les rapports des forces et ainsi de faire droit aux exigences de changement et de démocratie des peuples européens ?

Partons du problème posé.

Exiger le respect du verdict populaire

Premièrement, le peuple français a répondu « non » à une question précise ainsi formulée : « Autorisez-vous la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe ? » Son verdict est devenu le choix de la France : elle ne le ratifie pas. Ce choix doit être respecté. Pour entrer en vigueur (article 447), le traité constitutionnel doit être ratifié par tous les États membres. Deux d’entre eux ont déjà refusé de le faire. Ce traité est donc caduc.

Or, ni le président de la République ni les instances européennes n’acceptent de le reconnaître. Jacques Chirac et Gerhard Schröder, tous deux laminés par le suffrage universel, se sont employés depuis le 29 mai à obtenir que la ratification du traité se poursuive. Le Conseil européen des 16 et 17 juin adoptera-t-il ce jusqu’au-boutisme ou copiera-t-il la Grande-Bretagne en décrétant une « pause » de ce processus ? Mais une pause en attendant quoi ? Que le peuple français change d’avis ?

Poursuite ou pause, dans les deux cas, il s’agirait de tenter de « geler » la situation actuelle et de maintenir les décisions européennes fermées à l’intervention des peuples. Il est absolument décisif d’exiger et d’obtenir que le président de la République retire sa signature à ce traité et que le Conseil européen constate que le traité constitutionnel est caduc. On voit, comme je le soulignais, qu’il s’agit d’un combat à mener.

Exiger des mesures immédiates

Deuxièmement, le refus de ce traité par les peuples français et néerlandais a un contenu élevé : il a valeur de condamnation des politiques libérales mises en oeuvre depuis des années par l’Union européenne, du besoin d’une autre Europe. Il participe d’une contestation générale de ces politiques sur notre continent, comme l’ont montré les élections en Italie et en Allemagne. Et il a un effet accélérateur de ce mouvement : on le voit par exemple avec l’amplification de la demande d’un référendum en Suède ou avec la poussée du « non » dans de nombreux États membres.

Il est donc également décisif que le Conseil européen ne continue pas à déréglementer, à privatiser, à précariser comme si de rien n’était. Cela ne viendra pas tout seul ! C’est la deuxième dimension du combat à mener à l’échelle européenne dans la période qui s’ouvre : sans attendre un nouveau traité, arracher des décisions immédiates qui amorcent la réorientation des politiques économique, sociale, environnementale, de la politique extérieure dans le sens voulu par les peuples.

D’où la journée nationale de mobilisation et de manifestations de jeudi et la pétition que lance le PCF pour exiger des mesures concrètes en termes de rejet des directives et projets liés à la mise en oeuvre des politiques libérales, de refus de la mise en concurrence des peuples et des travailleurs et de la casse des droits sociaux et des services publics, de transformation des missions de la Banque centrale européenne, de nouvelle politique de solidarité et de paix. Cette idée d’une pétition portant des exigences de ce type ne pourrait-elle pas être reprise au niveau européen ?

Exiger une redéfinition des fondements de l’Union européenne

Troisièmement, le constat que le traité constitutionnel est rejeté doit conduire à ouvrir une nouvelle discussion à l’échelle de l’Union. Cette discussion doit faire droit à la volonté exprimée par les peuples européens d’être associés à cette discussion et aux décisions qui en découleront.

Tout le monde ressent bien que cette discussion ne peut pas être laissée à la discrétion des instances européennes et des gouvernements, qui viennent d’être condamnés. Le Parlement européen et les parlements nationaux doivent jouer leur rôle, mais ils ne peuvent pas à eux seuls répondre au besoin d’intervention et de décision que les peuples exigent. Une idée vient donc, au sein des forces progressistes, en France et en Europe, qu’on peut formuler ainsi : un projet de constitution européenne vient d’être rejeté ; il faut donc travailler à une autre constitution. Et le moyen le plus démocratique de l’élaborer et de l’adopter est d’élire une Assemblée constituante européenne au suffrage universel.

Il est vrai qu’une telle procédure serait bien plus démocratique que la désignation d’une « convention » d’experts. Mais cette proposition a plusieurs inconvénients. J’en vois deux principaux :

D’abord, une des critiques que nous avons faites au projet de constitution européenne est d’intégrer les politiques économiques et sociales, de « constitutionnaliser » les choix d’orientation politique. On ne va pas refaire la même chose. Or, ce sont ces choix politiques que les peuples contestent : ils exigent une rupture avec les politiques libérales, avec les traités en vigueur. Un nouveau traité de l’Union européenne est indispensable. La proposition d’une constitution n’y répond pas.

Ensuite, l’idée même d’une constitution européenne pose beaucoup de problèmes complexes : dans quel cadre s’exercera désormais la souveraineté populaire ? Quelles seront les prérogatives des instances exécutives de l’Union ? Quels seront les pouvoirs et les rôles respectifs des États et de l’Union, la nature de leurs rapports entre eux ? Les réponses à ces questions sont très divergentes, au sein des forces progressistes européennes et françaises. Faut-il commencer le processus de transformation de l’Union européenne en tranchant dans un sens ou dans un autre ?

Là encore, partons du problème posé. Le statut du traité constitutionnel est de se substituer aux traités en vigueur et d’instituer l’Union européenne. Son rejet pose la question à ce niveau : les fondements de l’Union européenne. C’est à ce niveau que doit se développer l’échange d’idées et de propositions entre les forces politiques, syndicales, associatives, les mouvements sociaux européens qui veulent une autre Europe : qu’est-ce qui doit changer pour permettre à l’Europe de se réconcilier avec ses peuples et ses citoyen-ne-s ? Qu’est-ce qui doit être le principe fondateur de l’Union européenne ?

Les traités en vigueur et le traité constitutionnel répondent : « Un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. » Les forces progressistes européennes ne pourraient-elles pas s’accorder pour considérer que le principe fondateur de l’Union européenne doit être l’ensemble des droits dont doivent disposer les femmes et les hommes résidant sur le sol européen ? Et donc proposer que soit entreprise l’élaboration, par consultation et vote des peuples, d’une nouvelle charte des droits sociaux et fondamentaux ayant le statut de loi fondamentale de l’Union, de condition d’appartenance à celle-ci ?

Cette charte des droits (ces principes de l’Union), faisant l’objet d’un débat citoyen à l’échelle de l’Europe, ratifiée par consultation dans chaque pays, aurait ainsi valeur de processus constituant car c’est à partir de l’affirmation de ces droits et pour permettre leur plein exercice que pourrait être mis en chantier, là encore avec l’apport des peuples, un nouveau traité de l’Union européenne permettant une réorientation antilibérale des politiques économique, sociale, environnementale et extérieure. C’est également à partir de ces droits que pourrait être envisagée la question de la construction d’institutions politiques de l’Union européenne.

Une fois de plus, on voit bien qu’un tel « scénario » suppose une modification radicale des rapports de forces en Europe, donc les mobilisations populaires qui y correspondent. À cet égard, un tel processus appelle des modifications institutionnelles pour que la discussion sur les grands axes de transformation de l’Union se fasse publiquement, au grand jour, par de grands débats permettant l’implication directe des citoyens, qu’elle soit placée sous le contrôle et le verdict final des peuples.

Toutes ces questions viennent à l’ordre du jour, à partir des problèmes réels posés aux peuples dans cette nouvelle période, dans chaque pays et à l’échelle de l’Union.

Une première réunion de travail entre forces progressistes européennes où elles seront évoquées aura lieu les 24 et 25 juin à Paris. Elles doivent être débattues aussi avec les citoyennes et les citoyens et donc nécessitent des initiatives le permettant. La campagne du référendum a montré que l’Europe n’est pas une question d’experts, mais qu’elle est maintenant un terrain d’intervention directe de notre peuple. Nous devons en tenir compte, désormais en permanence, dans notre combat quotidien.

Jean-François Gau, membre du Comité exécutif national du PCF