L’Humanité

Liberté, égalité, fraternité, services publics

Vous avez pris la parole, gardez-la !

Par Bernard Defaix, porte-parole de la Fédération des collectifs de défense des services publics.

La question des services publics doit être la pierre angulaire de toute activité sociale fondée sur le refus du remodelage libéral de la société. L’action pour reconquérir les services publics, étendre leurs champs d’intervention, donner aux citoyens et à leurs élus les moyens d’exercer un vrai contrôle sur leur fonctionnement n’est pas une question parmi d’autres : elle est au contraire, parce que l’offensive libérale nous en fait obligation, centrale, et il s’agit bien de la porter et de la travailler en tant qu’expression d’un choix de société.

Un mouvement fort se dessine progressivement autour de cette idée (qui précisément n’est pas seulement une idée !) : les peuples ont besoin de services publics efficaces, et dont les citoyens et les pouvoirs politiques qu’ils mettent en place réaffirment le rôle majeur en matière d’organisation de la vie sociale, de sa cohésion, de juste redistribution des richesses produites. Des services publics qui soient donc (et bien des exemples malheureusement de moins en moins récents, vu la casse de ces dernières années, montrent le réalisme d’une telle ambition) les pivots de dynamiques économiques et sociales fortes fondées non plus sur la rentabilité financière, mais sur la dialectique démocratique des besoins et des droits fondamentaux.

Le précédent historique auquel on peut se référer, non comme un retour nostalgique bien français mais comme logique politique dont il faut s’inspirer au nom même des réussites qu’elle a produites, est le programme que la Résistance a su élaborer en 1944. Éclairants aussi la crise de l’Argentine et, plus près, les événements dramatiques de la Louisiane.

Autant de leçons de choses sur le fait têtu que le marché et ses logiques de profit, d’accumulation ne fabriquent des réussites économiques relatives que sur un fond d’inégalités, de précarisation et de fragilisation des populations, et qu’il est foncièrement incapable de construire de la justice, de la solidarité, et des équilibres durables.

C’est justement poussé par sa propre nécessité de durer que le business s’exprime de plus en plus frénétiquement dans l’immédiateté, la mobilité, le renouvelable

et le jetable, bref la circulation. On le voit bien dans l’énorme combat idéologique actuel sur la réforme, l’innovation, l’immobilisme ; les progressistes dans leur activité politique n’ont pas suffisamment accordé d’importance, de longues années durant, aux valeurs fondatrices et à la confrontation quotidienne de principes d’organisation la société avec la réalité de terrain.

Trop longtemps cantonné dans le sporadique et le catégoriel, assumé trop souvent par les seuls travailleurs du public (et tout le monde a sa part de responsabilité dans cette situation), le combat pour l’avenir des services publics doit être compris comme bien plus large que celui pour l’humanisation de l’administration, la qualité de l’accueil, la réponse rapide à la sollicitation, toutes choses éminemment légitimes mais pas suffisantes. Une bonne fonction publique à tous les niveaux est aussi absolument indispensable non seulement vis-à-vis de ceux qui y travaillent et l’animent, mais également parce que c’est une condition incontournable pour avancer correctement dans le combat fondamental pour la construction et la consolidation du bien commun, public, garantissant la sécurité sociale des citoyens et la possibilité concrète d’exercer leurs droits (à l’éducation, à la santé, aux transports, etc.).

C’est de qualité de vie au quotidien dont il s’agit, c’est de droits dont il s’agit, comme le disait la banderole de tête à Guéret le 5 mars :

« Nous voulons des services publics de qualité, partout et pour tous. »

La chose publique, la res publica, n’a de sens que portée par les trois valeurs indissociables de liberté, d’égalité, de fraternité, et elle n’est pas l’affaire des seuls élus, des seuls travailleurs du secteur public, des seuls usagers, mais de l’ensemble du corps social. Il faut résister à toutes les tentatives de diviser la question des services publics comme Raffarin l’a fait, à propos du monde rural et urbain, et surtout sa fameuse déclaration sur la France du public et du privé. Tous les travailleurs du privé ont intérêt à ce qu’il y ait un fort secteur public capable justement d’imposer la prise en compte de l’intérêt général et du bien commun comme premier critère de l’organisation sociale. De même, c’est parce qu’il ne faut jamais oublier le caractère global de la problématique qu’il me paraît dangereux de définir, autrement que pour faire face à des exigences d’actualité, des priorités dans l’action en faveur des services publics. On ne hiérarchise pas les droits fondamentaux et toutes les luttes pour les services publics quelles qu’elles soient ont leur importance. D’où la nécessité obsessionnelle de rassembler, de regrouper et de faire converger tout ce qui est résistance et exigence de développement.

Le rejet que les Allemands viennent de faire des perspectives libérales est le résultat d’exigences partagées avec les Français et bien d’autres peuples de ne plus voir leur vie quotidienne bousillée par la spéculation boursière et les impératifs du taux de profit. Rien n’est plus urgent que de proposer des liens, faciliter des rassemblements, fabriquer du « tous ensemble » pour élargir le socle d’un vaste ensemble public qui est pour une grande part à reconstruire. Nous en connaissons les principes généraux, les valeurs qui doivent l’orienter ; il faudra pour l’améliorer, pour étendre son périmètre, des politiques lisibles dans les dispositions législatives et réglementaires qui seront prises, afin de revenir vers des emplois statutaires et établir des fonctionnements plus démocratiques au service de projets ambitieux élaborés à partir des besoins et de l’objectif d’accroître les droits sociaux.