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Le 23 septembre 2005

Forum pour un développement durable et solidaire de la planète : SUSAN GEORGE

Vice-présidente d’ATTAC

Je vais parler du diagnostic environnemental, mais d’abord je voudrais remercier le PCF de son invitation et de cette initiative qui me paraît tout à fait heureuse et bienvenue.

Rarement dans la communauté scientifique il y a eu une telle unanimité concernant les phénomènes actuels de l’environnement. Les biologistes sont d’accord sur la disparition des espèces vivantes. Denis Cohen en a parlé, mais sait-on qu’aujourd’hui même, il y en a 80 qui ont disparu. Il y en aura probablement une trentaine de mille qui vont disparaître cette année. Nous sommes au cœur de la sixième grande extinction dans l’histoire de la planète. Sur quatre milliards et demi d’années il y a eu cinq grandes extinctions où jusqu’à 90-95% des espèces ont disparu. Tout le monde connaît la cinquième qui a provoqué la disparition des dinosaures suite à la chute d’une météorite dans le golfe du Yucatan. Maintenant, nous sommes en plein dans la sixième extinction, mais nous sommes à la fois la météorite et les dinosaures, l’espèce humaine est la cause de cette grande extinction.

La prédation marine est un phénomène connu : pour la pêche à la morue on a récolté 800 000 tonnes en 1980 et en 2000, zéro tonne. On déverse aujourd’hui 150 millions de tonnes d’engrais dans la mer et les cours d’eau, c’est à dire 10 fois plus qu’en 1950. Ces engrais polluent et tuent les espèces marines.
L’unanimité scientifique règne aussi sur la question du changement climatique. Les Nations Unies ont mis sur pied depuis de longues années L’International Panel on Climate Change (Panel International sur le Changement Climatique) composé de quelques 1600 scientifiques, qui sont tous d’accord sur le diagnostic et comme le disait le scientifique principal auprès du gouvernement britannique, le changement climatique est une menace bien plus grave pour l’Humanité que le terrorisme. Des scientifiques de nombreux pays, réunis par le gouvernement britannique à Exeter au mois de février dernier ont déclaré que nous avons dix ans, seulement dix ans pour changer de cap, sinon ce sera l’irrémédiable. Le permafrost en Sibérie commence à fondre, or il retient des millions et des millions de tonnes de méthane, gaz à effet de serre vingt fois plus puissant que le CO2. Il est en train de fondre et va lâcher tout ce méthane dans l’atmosphère. Les « rétroactions positives » ou « feedbacks », mécanismes qui renforcent le réchauffement de la planète sont difficiles à mesurer mais nous savons qu’elles sont en marche et peuvent amplifier les phénomènes délétères. Les climatologues nous ont dit il y a déjà dix ou quinze ans, de regarder a ce propos deux grandes zones géographiques particulièrement sensibles : l’Arctique et le golfe du Mexique. Pour l’Arctique c’est évident : tout le monde peut constater la fonte des glaciers ; la fonte du permafrost en Sibérie participe au même phénomène. Pour le golfe du Mexique ce sont les cyclones qui augment en nombre et en sévérité ; Katrina n’est qu’un exemple particulièrement meurtrier et pourtant, Aux Etats-Unis, tout le monde semble considérer le cyclone Katrina comme un phénomène isolé, sans se rendre compte que George Bush est non seulement un criminel social et un criminel de guerre mais un criminel environnemental.
Les Nations Unies ont également réuni 1 300 scientifiques pour mesurer l’état de 24 écosystèmes de la planète. L’originalité de cette étude a été d’apprécier ces systèmes en termes de services qu’ils seraient capable de rendre à l’humanité (par exemple poisson, céréales, plantes médicamenteuses, fibres, pâturages, bois...) Ces savants ont conclu que 5 de ces écosystèmes étaient stables, que 15 étaient en déclin parfois grave et que 4 seulement avaient un peu de marge pour se développer. Cela signifie que ces écosystèmes sont hors d’état de rendre des services aux humains et comme nous sommes 6 milliards 600 millions habitants sur la planète, il faut reconnaître que des millions de personnes seront condamnés à disparaître si rien ne change. Les hommes ont le plus grand mal à admettre que les civilisations sont mortelles et la plupart de celles qui nous ont précédé sont mortes d’avoir mal prévu leur consommation de ressources et leur exploitation de leur écosystème.

Je demande que l’on se pose la question suivante : n’est-il pas possible que toutes les questions politiques et sociales dont nous nous occupons quotidiennement, vous comme moi ; que toutes ces préoccupations sont vraiment totalement secondaires à côté de notre sujet de ce soir ?
Personnellement, j’en suis de plus en plus convaincue. Nous vivons collectivement « a coté de la plaque ». Autrement dit, il faut se poser de toute urgence la question , qui peut agir ? et comment ?

Les personnes individuelles peuvent bien sûr agir ; on nous abreuve d’ailleurs souvent de listes de choses que nous devrions faire pour être de parfaits citoyens écologistes. Je ne néglige en aucune manière ce genre de recommandation, le besoin d’éducation pour l’environnement et la nécessité d’actions individuelles, mais même si dix ou quinze ou 20% des citoyens du monde entier commençaient à vivre demain de manière absolument écologique, ça ne suffirait pas, parce que la consommation industrielle et gouvernementale dépasse de très loin la consommation individuelle, c’est donc à un autre niveau qu’il faut agir.

La constitution européenne à laquelle nous avons échappé était un modèle de ce qu’il ne faut pas faire en matière écologique. J’y reviendrai si nous avons le temps dans la discussion, parce que je crois que quand on se pose la question qui peut agir ? il faut se poser simultanément la question géopolitique, qui va agir ? Les Etats-Unis ? c’est hélas évident que non ; ils n’ont même pas ratifiés le protocole de Kyoto et aucune mesure écologique sérieuse ne sera prise par les américains dans les 3 ou 4 prochaines années et probablement au-delà. Notons même une chose très bizarre qui joue dans ce sens. Les fondamentalistes chrétiens aux Etats-Unis ,qui sont entre 70 et 100 millions, ont une croyance profonde dans le fait que plus la dégradation écologique continue, plus vite le Christ va revenir. Non, je ne plaisante pas, c’est très sérieux, il existe des publications tout à fait sérieuses à ce sujet. Pour ces croyants, seul Dieu peut intervenir et s’il n’intervient pas c’est qu’il sait ce qu’il fait. Le monde naturel matériellement ne peut pas être sauvé, Dieu a donné à l’homme la nature pour qu’il l’exploite (voir le livre de la Genèse, dont ces gens font une lecture littérale). Consommons donc tout ce que nous voulons maintenant, parce que c’est bien, parce que ça va hâter le retour du Christ sur terre et de toute façon, nous les croyants nous allons être sauvés et nous pourrons regarder de là- haut brûler les mécréants. Bref, jusqu’à 100 millions de personnes croient A ce genre de sornettes aux Etats-Unis Cela signifie que rien ne sera fait au niveau américain. D’autre part, l’idéologie néolibérale encourage le mépris pour les pauvres et il n’est pas étonnant que Bush n’ait rien fait au moment de Katrina jusqu’à ce que l’opinion publique l’y oblige. Il ne reconnaîtra jamais que ce genre de phénomène est lié au réchauffement de la planète causé par les activités humaines. Le capitalisme est un système qui ne peut reconnaître que l’intérêt à court terme. . J’ai déjà dépassé mon temps mais je vous demande une minute de plus. La Chine et l’Inde ne vont pas agir non plus à l’échelle qu’il faudrait et se préoccupent avant tout de leur « développement », qui est synonyme de leur possibilité d’exploiter les ressources naturelles, généraliser l’usage de la voiture, etc... Je ne développe pas ce point mais je crois que c’est assez évident. A mon avis, cela laisse l’Europe. Ce sont les citoyens européens qui doivent obliger l’Europe à agir en faveur de l’environnement et soyez-en certains, sans la pression des citoyens elle ne le fera pas non plus. Même certaines entreprises sont prêtes à agir, récemment il y a eu en Angleterre, un congrès de l’industrie de la construction qui a mis en avant toutes les solutions écologiques prêtes à fonctionner. Par exemple, l’air conditionné pourrait ne consommer que 5% de l’énergie qu’il consomme actuellement, des systèmes d’éclairage, des systèmes de chauffage, etc. pourraient devenir parfaitement efficaces et économes . Mais il faudrait pour cela que le gouvernement exige que tout le monde applique les mêmes normes. Or le gouvernement britannique, les blairistes, considèrent que c’est au marché de s’occuper de tout cela. Il est tout de même curieux de voir des entrepreneurs qui demandent des normes pour que tout le monde soit à la même enseigne en termes de concurrence - avec un gouvernement qui ne sait qu’invoquer le marché. C’est ainsi que l’Europe va agir aussi dans la mesure ou nous n’exigeons pas une attitude écologiquement responsable. Il faut de la régulation gouvernementale en attendant cet autre monde que Marie-George et Denis ont mis en avant et auquel tout le monde aspire. Faisons donc en attendant de grandes alliances de citoyens pour obliger nos gouvernements et l’Union européenne à réguler, à exiger et à mettre en place des normes extrêmement draconiennes pour sauver la planète . Le leadership viendra de l’Europe ou il ne viendra pas. Je vous remercie.


Le : 09.12.2005
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