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23 septembre 2005

Forum pour un développement durable et solidaire : table ronde 1

Introduction de Denis Cohen

En introduction à cette première table ronde, je voudrais tenter de dégager quatre idées.

La première, c’est le fait que nous sommes entrés dans une phase qualitativement nouvelle et que l’on ne peut en rester en l’état.

L’activité humaine fait désormais peser des menaces sur le climat au point de poser la question de la survie des espèces, y compris celle de l’espèce humaine.
Nous avons, durant les quarante dernières années, consommé plus d’énergie que celle accumulée depuis l’apparition de l’espèce humaine sur la planète.
L’eau se raréfie au point de mettre en cause les productions agricoles. La biodiversité diminue au rythme de 27 000 espèces qui disparaissent chaque année. A ce rythme, 20 % des trente millions d’espèces animales et végétales disparaitront d’ici quelques décennies. C’est une vague d’extinction sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
L’accroissement des risques industriels, la dégradation du cadre de vie urbain et rural pèsent sur la vie quotidienne et la santé des populations. Les pollutions se multiplient au point de rendre l’air irrespirable dans les mégapoles et l’eau imbuvable dans les régions où se pratiquent l’élevage et l’agriculture intensifs.
L’activité humaine dépasse aujourd’hui les capacités de la planète à se régénérer sans pour autant avoir réduit les inégalités.
La simple énumération de quelques unes des questions en débat montre qu’elles acquièrent des dimensions jamais égalées. Nous pouvons dire qu’elles sont devenues des enjeux de civilisation et appellent donc des réponses politiques.
Devant l’ampleur de ces questions, deux mots me viennent à l’esprit : responsabilité et urgence.
Urgence pour ne pendre que l’exemple du climat car, comme l’indique l’association "Sauvons le climat", l’aspect le plus inquiétant est l’inertie du système climatique. Les mesures prises pour réduire l’ampleur du changement climatique ne porteront leurs effets bénéfiques qu’après plusieurs décennies au cours desquelles la température continuera de s’accroître au même rythme que précédemment, sans espoir de retour en arrière avant des centaines d’années.
Autrement dit, si nous attendons de constater les conséquences néfastes du changement climatique pour agir, nous condamnons les générations futures à connaître un climat bien plus dégradé que celui qui nous a décidés à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

La seconde idée, face à ce constat, est de travailler à l’intervention humaine sur ce champ, le besoin que la politique se réapproprie les questions d’écologie.

Nous sommes conscients des retards que nous avons pris. L’humilité nous oblige à reconnaître que d’autres que nous travaillent depuis longtemps, et souvent d’arrache-pied, sur ces questions. Non pas d’ailleurs que de nombreux communistes, de nombreux élus ne soient pas engagés avec sérieux sur ces questions, mais force est de constater qu’il existe un vide laissé par le politique. Vide qui nous interpelle, bien sûr, comme force politique mais aussi et peut-être surtout en tant que force communiste. Les inégalités, les flux migratoires, les famines, les guerres, sont en effet autant de combats qui fondent l’identité communiste.
Or, la raréfaction des ressources naturelles, comme le pétrole, conduit à des tensions géopolitiques et des conflits régionaux. Les pénuries d’eau engendrent déjà de vives tensions entre Etats. Le Jourdain, par exemple, qui traverse le Liban, la Syrie, Israël et la Jordanie, donne lieu à des affrontements d’une grande âpreté. L’eau devient un bien de plus en plus rare. La quantité d’eau disponible par tête est passée de 12 900 m3 en 1970 à moins de 7 000 aujourd’hui et descendrait à 5 100 m3 en 2025. Cela ne résulte pas seulement d’une inégale répartition des ressources naturelles.
L’inégalité en matière d’accès à l’eau - comme d’accès à l’énergie - est probablement le signe le plus criant de la fracture Nord-Sud. Aujourd’hui, 1,1 milliard d’êtres humains n’a pas accès à une eau salubre ; 1,6 milliard d’êtres humains n’a pas accès à l’énergie autrement que par le bois de chauffe.
La disparition accélérée de nombreuses espèces végétales et animales, sous la pression humaine, concerne directement l’agroalimentaire, la pharmacologie et sous-tend des enjeux vitaux pour l’humanité, la sécurité alimentaire, la santé...
Le réchauffement climatique est susceptible de devenir une cause majeure d’instabilité géopolitique à cause des pressions migratoires et des transferts d’activités qu’engendreront ses conséquences.
Lorsque l’on regarde ce qui vient de se passer aux Etats-Unis, comment ne pas se dire qu’il s’agit bien de questions de classe. Ce sont là des questions bien trop sérieuses et bien trop lourdes pour ne reposer que sur les Verts.
Sans doute certains aspects culturels pèsent sur notre engagement. Comme pour le féminisme, la hiérarchisation des terrains de lutte renvoyait à un « après » la réponse à ces questions.
Au-delà, n’avons-nous pas nous-mêmes accrédité l’idée, en parlant de « force de gauche et écologiste », que les partis de gauche n’avaient pas vocation à intégrer ces questions dans leur projet et leurs pratiques, que l’alliance avec ceux qui font de l’écologie un programme suffisait ?

La troisième idée est que ces questions sont un terrain de lutte et de rassemblement. Je pense même que, devant de tels enjeux, de nouveaux rassemblements sont possibles.

La situation rend caducs les traditionnels clivages, au demeurant stériles, entre partisans du progrès scientifique et technique et défenseurs de la nature.
Des résistances se font jour contre la marchandisation du monde. Ce sont toutes les initiatives en faveur d’un « autre monde possible », forums sociaux, manifestations contre l’OMC, le G 8, la guerre d’Irak, mais aussi celle contre le démantèlement de la protection sociale, contre les marées noires... Celles-ci témoignent de la prise de conscience par les mouvements sociaux de l’étroite relation entre social et écologie, entre la reconstruction des instances internationales, l’annulation de la dette des pays en voie de développement ou émergents, la défense des services publics, l’instauration de droits nouveaux pour les salariés.
Bien sûr, le résultat de ces luttes n’est pas sans contradiction. Ainsi, la notion de développement durable est souvent perçue par les milieux populaires comme le nouveau « cache sexe » de l’exploitation et de la domination capitaliste, mais l’engagement des multinationales, du gouvernement, même s’ils tentent de l’utiliser à des fins de communication, découle avant tout de ces luttes et rassemblements.
La meilleure façon de peser sur ces lignes de force n’est-elle pas de donner un contenu transformateur à cette notion pour en faire un des leviers du dépassement du capitalisme ?
Je crois que nous y contribuons déjà lorsque nous nous mobilisons pour une autre utilisation de l’argent, public ou privé, ou encore pour la transformation des institutions.
Nous y contribuons à travers la défense des services publics, à travers notre action pour les biens publics mondiaux que sont l’eau, la santé, l’éducation, l’énergie, les droits sociaux et humains.
Nous y contribuons également en recherchant, au travers de la construction de l’Europe des peuples et du progrès, un point d’appui pour faire prévaloir au niveau du continent un autre modèle de développement, soucieux des hommes et de leur environnement.
Nous pouvons contribuer à faire grandir l’idée de ce que devrait être une politique agricole commune à 25, fondée sur la qualité et la diversité des productions.
Une politique énergétique basée sur l’indépendance énergétique de l’Union européenne, le respect des engagements de Kyoto, l’harmonisation des normes environnementales.
Une politique de transport favorisant le ferroviaire et les transports collectifs.
Une politique de recherche en général, environnementale en particulier. Promouvoir les services publics pour répondre aux droits les plus fondamentaux.
Contrôler les multinationales notamment par des droits nouveaux pour les salariés et leurs organisations syndicales.

La quatrième idée est que la planète est déjà malade du capitalisme.

Une des forces du capitalisme a été de tout temps d’intégrer à son profit les nouveaux défis en ouvrant de nouveaux marchés dans une recherche constante de rentabilité maximale. Avec lui, tout devient marchandise, tout ce qui est humain, un coût.
Le chacun pour soi et la concurrence sont érigés en modèle. Il en est de l’environnement comme du reste. L’environnement est devenu un nouveau marché. Cette fuite en avant ne va faire qu’aggraver les inégalités. Le fossé entre les pays riches et les pays pauvres va s’approfondir et les inégalités dans les pays développés se creuser.
La recherche de rentabilité à court terme conduit à des déstructurations massives, des reculs sociaux qui handicapent les possibilités de développement et invitent à de nouveaux reculs, à de nouvelles impasses pour préserver coûte que coûte les possibilités de profits financiers à court terme. Le capitalisme tente d’utiliser à ses fins une mondialisation à laquelle il s’efforce de donner un contenu conforme à ses besoins.
Comment par exemple analyser les permis de polluer qui, tout en visant à réduire les rejets de gaz à effet de serre, marchandisent l’atmosphère ? On pollue et on épuise toujours davantage, au point maintenant de dépasser les capacités d’autorégulation et de régénération de la planète.

Cet élément pose d’une façon nouvelle à la fois :

-  la crise du capitalisme et sa mise en accusation ;

-  le besoin de réponses communistes aux enjeux de civilisation et nos efforts de créativité pour y répondre.

Le : 09.12.2005
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