Par Marc Lacreuse
Je propose aux acteurs et partenaires de ce forum que l’on lise la réalité à laquelle se trouvent confrontés aujourd’hui les hommes et les femmes de ces territoires trop souvent mis au ban de la République à la lumière de la contribution de Paul Ricoeur évoquant dans un de ses ouvrages l’état démocratique.
Il ne s’agit pas ici d’un exercice gratuit , alors que notre société connaît une crise grave donc fortement significative , c’est une proposition politique qui essaie de souligner combien est mauvais l’état des lieux de notre démocratie républicaine, en ce qu’elle n’a pas su prolonger l’ardeur de ses conquêtes fondatrices en n’en proposant pas de nouvelles pour notre temps.
Pour Paul Ricoeur , donc, est démocratique « une société qui se reconnaît divisée, c’est à dire traversée par des contradictions d’intérêts et qui se fixe comme modalité d’associer à part égale chaque citoyen dans :
l’expression de ces contradictions
l’analyse de ces contradictions
la délibération de ces contradictions
l’arbitrage de ces contradictions »
Une telle perspective ouvre des abîmes de perplexité si l’on considère ce qu’ offrent réellement les institutions républicaines aujourd’hui, en ce qu’elles restent très majoritairement marquées par la seule délégation de pouvoir , pour permettre aux hommes et aux femmes , là où ils vivent ou tentent de vivre , de faire société !
Quels lieux pour l’expression des contradictions inhérentes à toute vie sociale ?
A fortiori ,quels lieux pour leur analyse ,leur délibération, leur arbitrage , dans le quartier, le village ,le lycée, le service public, l’entreprise ?
Combien d’enquêtes d’experts, de questionnaires sans suites, de réunions consultatives, d’assises et de colloques sans lendemains connus, combien de sondages divers et variés , combien d’évaluations - prétextes et technocratiques , pour différer sans cesse ce qui ne peut pourtant plus être contenu ? Combien de paroles et de contributions citoyennes perdues, détournées, laissées en plan ? Combien d’intelligences collectives et populaires niées ?
En manifestant son incapacité à se positionner comme une dynamique de conquêtes citoyennes permanente , notre démocratie républicaine s’est en quelque sorte muséifiée, devenue incapable de répondre à la nécessité ,pourtant attestée historiquement partout, de l’irréversibilité du mouvement permanent de l’émancipation humaine .
Dans le même temps , et pour cette raison même, elle a généré une violence qui ne pourra pas toujours se contenter de seules émergences symboliques , ce à quoi nous assistons peut-être en ce moment.
Ma crainte pour aujourd’hui est évidemment que les évènements que nous connaissons constituent de nouveaux prétextes pour un amoindrissement et un démantèlement généralisés de nos espaces publics , de notre démocratie. Cela a commencé :état d’urgence et CRS on le sait ne rétabliront rien d’autre que la durabilité de l’injustice, de l’inégalité et accélèreront la course aux populismes de toutes sortes ( de « gauche » et de « droite » ) .
Je considère pour ma part que nous vivons une période où jamais l’urgence d’un effort collectif d’accouchement de nouvelles conceptions et pratiques de la démocratie ,n’a été aussi lisible dans les faits, violents ou non, qui la caractérisent.
Nul doute qu’il s’agisse d’une vaste entreprise d’éducation populaire , dont ne peut être dispensé aucune composante politique de notre société , institutionnelle ou non , ni aucun domaine d’activité .
Il est même permis de penser qu’arts et culture doivent ici être convoqués de manière toute spécifique, étant un des lieux particuliers où se montent et démontent nos modes de représentations du monde.
Peut-on encore se persuader à ce titre que l’urgence démocratique n’a jamais été aussi ....sociale ?