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ATTAC France

Propositions pour une liste de priorités d’action politique européenne

Ces propositions, listées par ordre de priorité décroissante, alternent volontairement propositions d’actions sur des sujets liés à des décisions à court terme et débats et actions visant un beaucoup plus long terme. La polarisation sur les seules questions immédiates serait contre-productive, car elle ne permettrait de débattre des vrais choix structurants qui peuvent seuls régénérer l’engagement dans la construction européenne.

Ces propositions visent par ailleurs à compléter les propositions en cours d’élaboration pour ce qui concerne un redémarrage institutionnel, la mise en place de nouvelles procédures démocratiques et à plus long terme d’un processus constituant.

1. Campagne pour l’augmentation du budget européen

J’ai déjà souligné à quel point cette campagne est nécessaire et urgente. Seule une augmentation significative des perspectives budgétaires 2007-2013 peut envoyer aux citoyens des pays d’Europe centrale et orientale le message de solidarité qui s’impose. Il s’agit d’une condition nécessaire à l’ouverture d’un débat constructif avec les citoyens et gouvernements de ces pays. De nombreuses politiques en dépendent dans nos propres pays, notamment en ce qui concerne l’action urbaine et le développement rural (pour lesquels c’est surtout le maintien des échanges d’expérience et des ouvertures rendues possibles par l’intervention des fonds européens qui importe) et la recherche. Avant de passer à l’essentiel, c’est à dire les termes de débat pour la difficile année de négociation qui s’ouvre, fixons quelques repères à partir de propositions effectuées par différents organismes ou mouvements :

Les Etats riches (notamment Allemagne, France, Royaume-Uni et Pays-Bas) campent aujourd’hui sur une limitation à un peu plus que 1% du PNB européen et surtout se prennent mutuellement en otage sur différents points (sacralisation du budget de la politique agricole commune obtenue par la France jusqu’à 2013 et question du remboursement de plus de 4 milliards d’euros par an au Royaume-Uni - rabais britannique). Compte tenu des crédits affectés, un niveau proche de 1% signifie une totale faillite de la solidarité à l’égard des nouveaux pays.

Tentant en vain d’arracher un compromis lors du sommet des 16 et 17 juin derniers, la présidence luxembourgeoise a fait une proposition à 1,06% du Revenu national brut (RNB) avec différents compromis pour dénouer les points de blocage. Cette proposition restait extrêmement insuffisante pour assurer ne serait-ce qu’un périmètre de base de la politique de cohésion sociale et territoriale et rendrait impossible un investissement significatif dans une politique de recherche dégagée des intérêts industriels immédiats.

La Commission a fait une proposition à 1,26% (en réalité 1,15% en crédits de paiement) considérée par les Etats comme position de négociation. Cette position est en fait très loin d’être excessive même à périmètre de politiques internes constant.

L’appel des économistes européens du groupe euro-memorandum a proposé 1,5% du RNB, chiffre qui paraît une base raisonnable mais demanderait d’importants efforts pour assurer l’usage pertinent des fonds. NB : ils estiment que ce montant doit être complété par 1% du PNB d’investissement dans des infrastructures, point sur lequel j’ai divers doutes : est-il possible de pratiquer ce genre de relance par les infrastructures sans créer divers désastres écologiques et erreurs graves d’orientation technique ? A tout le moins une analyse qualitative beaucoup plus détaillée que la proposition actuelle ou l’ancien livre blanc Delors est nécessaire sur le thème :quelles infrastructures sont nécessaires ?

Des mouvements comme le Forum de la gauche gitoyenne ont proposé un doublement du budget actuel soit 1,9% du RNB. Une croissance aussi rapide me paraît difficile (à financer et à utiliser efficacement), mais ce peut être considéré comme une position de revendication.

Enfin, dans une perspective à plus long terme des intervenants comme Yann Mouilier-Boutang ont proposé un budget européen à 15-20% du PNB, ce qui correspondrait à un transfert des compétences sociales des Etats membres vers l’Union européenne et le budget européen, changement dont l’analyse demande un débat d’une autre nature.

En ce qui concerne les mécanismes de distribution des budgets de cohésion, rappelons que la limite à 3 ou 4% du PIB du pays récepteur paraît raisonnable pour éviter des mécanismes de gaspillage et corruption massifs, et que l’orientation politique qualitative de l’usage de ces fonds est essentielle. Si c’était pour construire des autoroutes à camions destinés à l’alimentation de la production juste à temps, cette soi-disant solidarité fonctionnerait à rebours.

Enfin et surtout, il est essentiel de sortir immédiatement de termes de débat pipés. Même si on peut comprendre ses origines historiques, la notion de pays contributeur net est inadmissible pour quiconque se situe dans une vraie perspective européenne. C’est au niveau des populations que les transferts doivent être analysés : les riches européens transfèrent-ils aux pauvres ou est-ce parfois l’inverse ? Par ailleurs, la sacralisation du budget de la PAC doit être remplacée par une sacralisation (et même une augmentation) de la part de ce budget versée aux 60% d’exploitants qui s’en partagent aujourd’hui moins de 20%. Toute position de proposition européenne émanant d’un gouvernement français est minée à la base dans sa légitimité par la situation actuelle de service aux lobbies des grands exploitants.

Une incise en réaction à la présentation de cette question dans les médias. La suppression totale des aides à l’exportation (y compris, si nécessaire, en imposant des restitutions négatives) s’impose. Mais en aucun cas il ne faut en déduire qu’il faudrait ouvrir les marchés agricoles européens à tout vent sans critères qualitatifs. Comme indiqué dans mon programme du 30 mai, c’est une question qui demande instruction au cas par cas à partir d’un a priori : la pleine légitimité de la recherche d’une protection de la qualité agricole et alimentaire dans l’espace européen comme dans les autres pays.

2. Un débat européen sur le grand choix entre économisme et politiques qualitatives

Le débat européen visible a mis en scène l’opposition entre "néo-libéralisme" et "social". L’existence d’un fondamentalisme du marché destructeur, vecteur de marchandisation et qui nous entraîne (compte tenu d’un contexte général bien spécifique) dans des spirales descendantes de la qualité sociale est une triste réalité. Mais il n’est pas sûr que ce soit le retour à des politiques sociales fondées sur le paradigme "l’économie produit la richesse, l’Etat social la redistribue" qui soit la réponse pertinente à cette situation.

Certains en doutent pour deux raisons :

La première est que les formes de l’économie déterminent énormément la nature des problèmes sociaux et la capacité de l’Etat (au sens le plus large : toutes les collectivités publiques) à capturer la richesse exprimée en valeur économique. Il y a donc lieu à se préoccuper d’action sur ces formes de l’économie : par exemple modes de production, relation entre l’économie et les territoires, orientation du changement technique, préférences pour des types de fournitures de services ou de consommation. Une action crédible en la matière peut s’exercer à trois principaux niveaux : global (notamment au niveau des limites entre macro-zones géographiques), européen et local, dont on notera qu’ils ne sont pas celui (principalement national) où s’effectuent les transferts sociaux.

La seconde raison, beaucoup plus profonde, réside dans le divorce croissant entre les mesures économiques de la valeur et la réalité de la qualité sociale, environnementale, culturelle ou tout simplement de la vie personnelle. Cela appelle la possibilité de découpler les moyens d’intervention dans les différentes dimensions, de protéger chacune de ces sphères contre l’invasion permanente des contraintes issues de sphère de la valeur marchande et d’y installer d’autres modes de reconnaissance et d’échange de la valeur.

Cette liste de priorités n’est pas le lieu pour approfondir ces questions ou même décider entre les deux modèles (on aura deviné ma préférence mais elle ne m’empêche pas de me savoir minoritaire). Par contre le débat est indiscutablement essentiel. Poursuivre tête baissée sans se poser cette question parait la sûre recette de déceptions toujours croissantes. La construction d’un nouveau cadre d’analyse doit aller de pair avec l’élaboration de nouveaux modes d’arbitrage entre exigences des politiques.

3. Un rejet clair de la brevetabilité des logiciels

Mis à jour après le rejet le 6 juillet 2005 par le parlement européen de la position commune du Conseil européen sur ce sujet. Ce rejet constitue une première étape dans la réalisation de cette priorité.

La question de la brevetabilité des logiciels est loin d’être un cas anecdotique : elle constitue le prototype et l’un des stades ultimes de l’opposition entre nouveaux biens communs et appropriation des connaissances (sujet qui est au coeur des impasses de la stratégie de Lisbonne) elle est le thème qui a vu se constituer une action citoyenne européenne de grande ampleur (plusieurs centaines de milliers de participants) sur un sujet technique c’est un test clé du caractère démocratique des procédures législatives et du contrôle des organismes techniques comme l’Office europen des brevets

C’est sur ce troisième plan, et notamment sur la reconstruction d’un contrôle politique de l’Office européen des brevets que doit maintenant se déplacer l’action.

Il est critique que le débouché de ce dossier confirme la priorité aux biens communs et la capacité des décisions européennes comme nationales à arbitrer pour le bien public même face à la dérive d’organismes techniques qui ne sont plus contrôlés en fait et au lobbying effréné de quelques multinationales. Pour le suivi de ce dossier, voir la page sur ce sujet.

4. Un débat européen sur le rééquilibrage en faveur des biens communs dans le champ de l’information et des connaissances

Quel que soit le débouché du point précédent, la perspective d’un rééquilibrage général en faveur des biens communs dans le champ de l’information et des connaissances est l’axe structurant de certaines coalitions et une condition nécessaire d’actions dans le domaine des biens plus sociaux. Il s’agit d’un axe fondamental de création d’un enthousiasme européen et d’une mobilisation de la générosité qui s’exprime déjà dans le fait que l’Europe est un centre privilégié de la contribution volontaire aux biens communs. Les orientations fondamentales et les priorités de ce rééquilibrage ont été détaillés dans mon livre "Cause commune : l’information entre bien commun et propriété".

Les axes principaux en sont :

-  La reconnaissance de la légitimité inconditionnelle des biens communs informationnels (génomes, logiciels, connaissances) et des clauses de protection contre leur appropriation.

-  L’identification immédiate des dispositions qui sont incompatibles avec l’existence des biens communs, et qui, comme telles, ne peuvent être acceptées dans la sphère de la propriété informationnelle.

-  Une approche pragmatique et progressive concernant les autres formes de l’appropriation

-  La reconstruction du contrôle politique des organismes spécialisés (offices de brevets et de "propriété intellectuelle")

Il faut y ajouter le besoin de clarifier l’interprétation de l’article 17.2 de la charte des droits fondamentaux dans le sens de la seule reconnaissance des droits des personnes.

5. Campagne contre le dumping et les paradis fiscaux

Il y a des raisons très profondes de faire de la lutte contre du dumping et de l’avsion fiscale une priorité de premier ordre. Parce qu’ils privent l’action publique de ses ressources, ils sont étroitement liés à l’érosion sociale et à la croissance des inégalités, qu’ils contribuent par ailleurs à sous-estimer. De très loin, la plus grande part du dumping et de l’évasion fiscale est organisée en Europe par les pays riches, à travers leur politique fiscale (Irlande, Royaume-Uni, Luxembourg, Pays-Bas) et à travers l’énergie qu’ils mettent à soutenir les paradis fiscaux (Royaume-Uni, France, Autriche). Le dumping et l’acceptation de la "minimisation" fiscale sont hautement contagieux : les Etats l’organisent parfois contre eux-mêmes lorsque que comme ce fut le cas pour Vivendi Universal, ils consentent des ristournes de quelques milliards d’euros en autorisant divers artifices comptables. Le traité de Nice (ou le traité constitutionnel s’il avait été adopté) n’offre pas de moyen "institutionnels" immédiats de lutte contre dumping et érosion fiscaux. Il faut un bien étrange renoncement pour en déduire qu’aucune action ne serait possible en la matière.

Un vaste éventail de modes d’action possibles existe à la fois pour les Etats et les citoyens.

Pour les Etats : que l’on commence par affirmer l’évidence et par domicilier et taxer les revenus de propriété intellectuelle dans le lieu de consommation des produits ou services qui les incluent. Et que l’on attende de pied ferme une action éventuelle contre cette décision au titre du marché intérieur. Que l’on poursuive avec un peu plus d’énergie les organisateurs du grand lessivage des flux financiers.

Pour les citoyens : si les Etats maintiennent leur complaisance suicidaire, que les citoyens leur donnent un peu de courage en utilisant les moyens qui leur appartiennent, de la dénonciation des firmes et des Etats (notamment quand c’est le leur) qui y recourent jusqu’au boycott.

6. Elaboration d’une nouvelle doctrine sur les relations entre politiques du marché intérieur et de la concurrence, d’une part, et les politiques à visée qualitative sociale, territoriale, culturelle, environnementale ou de recherche, d’autre part

Il faut tout d’abord dissiper une ambiguïté possible. Si le développement actuel des politiques qualitatives affranchies de l’économisme reste confiné dans quelques niches (exception culturelle, commerce équitable, environnement défini de façon restrictive comme préservation des ressources naturelles), ce n’est parce que des bureaucrates bruxellois et des juges luxembourgeois tuent dans l’oeuf les nombreuses initiatives politiques qui émergeraient partout. L’économisme règne avant tout dans les cerveaux, qu’ils soient conservateurs, sociaux-démocrates, libéraux, souverainistes ou néo-communistes, alors même qu’il est sérieusement battu en brèche dans l’économie considérée comme discipline. Il règne même chez les écologistes dès qu’ils débattent d’autre chose que d’environnement. C’est pourquoi j’ai placé bien avant celle-ci la priorité portant sur le débat sur la place de l’économique et l’articulation du non-économique avec lui. Cependant, il y a bien lieu à réformer le cadre d’arbitrage européen, justement pour permettre aux politiques qualitiatives de se formuler et de se développer sans être a priori forcées d’adopter des justifications économiques ou de compatibilité avec des dogmes économiques.

J’ai déjà signalé qu’un des dysfonctionnements actuels des politiques européennes portait sur le cadre de référence qui s’applique quand on prépare une politique nationale, locale ou européenne. J’ai montré que toute politique dont la visée est directement qualitative (par exemple qui vise la qualité sociale, environnementale, alimentaire, culturelle) ou qui entend instituer une préférence de mode de production et de consommation comme moyen d’atteindre un de ces objectifs est dans le cadre actuel a priori suspecte. Cette présomption d’infraction aux principes du marché intérieur, conduit à un certain nombre d’obligations de justification et de notification préalables et fait par ailleurs courir un risque de litige ultérieur porté devant la Cour de justice européenne (ou les autorités de concurrence nationales dans certains cas). L’anticipation du risque de tels litiges par les autorités nationales ou régionales ou par les concepteurs d’autres politiques européennes conduit à l’autocensure des politiques dans des proportions bien plus importantes que "nécessaire" par rapport à la jurisprudence effective. Même lorsqu’il n’y a pas autocensure, les coûts de transactions créés par le cadre d’arbitrage concurrentiel rendent très coûteuses la mise en place de certaines politiques.

Il ne s’agit pas là de questions techniques qui ne concerneraient que quelques acteurs spécialisés. La possibilité pour les administrations de mettre des données dans le domaine public, de diffuser leurs logiciels sous licences libres, de passer des appels d’offres favorisant tel mode de production, d’établir des règles en faveur des droits du public ou de l’état en matière de services, la possibilité pour une communauté de communes d’accorder un tarif préférentiel à ses résidents dans une piscine par rapport aux touristes de passage, d’exiger que les produits servis dans les cantines soient issus du commerce équitable ou de l’agriculture biologique, le niveau des financements de recherche dans les projets européens, la possibilité de déclarer interdites aux OGM telle région ou zone agricole, la possibilité d’encourager la consommation de productions locales, la possibilité d’établir des réglementations efficaces pour empêcher l’envahissement publicitaire de l’espace public ou médiatique, tout cela passe par les fourches caudines de la suspicion concurrentielle. Le public (au sens large réunissant l’Etat à tous ses niveaux et les organismes en charge de biens publics) est un infirme et l’organisation le conduit à se ligoter en prime lui-même.

On ne peut bien sûr comprendre comment on en est arrivé là si on ne fait pas non plus la part de l’abus ancien d’arguments qualitatifs pour justifier de purs protectionnismes bien peu qualitatifs. Il est clair cependant qu’aujourd’hui on a atteint le point de déséquilibre, et qu’il faut réagir avec vigueur.

Le premier pas vers le retour à un encadrement favorable au qualitatif passe avant tout par un renversement de charge de la preuve. Dans la politique de la concurrence au sens strict, ce renversement est effectif : lorsqu’il s’agit de protéger les multinationales contre l’embryon d’Etat européen, les décisions correctrices d’abus de position dominante ou anti-fusions sont régulièrement cassées par la Cour de justice européenne pour défaut de preuve qu’il y avait lieu à agir. Mais lorsqu’il s’agit de protéger l’intérêt public et les biens communs contre l’abus privé ou de refuser que s’applique une évaluation économique dans certains domaines, on en revient, dans l’invocation concurrentielle au sein de la politique du marché intérieur, à la présomption de culpabilité pour les politiques qualitatives. Cela doit cesser, au moins pour toute une série de politiques (locales notamment) et de domaines (informationnels, éducatifs, culturels, écologiques au sens large incluant production et transports). Est-il normal qu’il soit plus facile de créer des zones franches au nom de l’action sociale (ce qui relève du dumping fiscal) que d’organiser la disponibilité sociale généralisée des connaissances ou des outils qui les mettent en oeuvre ?

Le second pas doit consister en une réhabilitation de la décision politique par rapport à la décision juridique dans ce domaine. La démocratie doit certes permettre que des tenants de l’économie indifférenciée et de la concurrence sacralisée puissent appliquer leurs politiques si les électeurs leur ont confié le mandat. Mais elle ne doit pas tolérer que ce soit considéré comme une loi de la nature, ni que des mesures irréversibles ou l’inertie créée n’empêchent de revenir à d’autres mesures du bien social.

7. Un moratoire sur les directives et règlements qui sont contestées en raison du risque d’érosion des droits sociaux

Certains s’étonneront sans doute de ne voir ce point qu’à ce rang alors qu’il est au premier rang de leurs inquiétudes. Il y a peu de risques que cette priorité soit oubliée. Mais elle risque d’être un peu trompeuse. Les directives qui ont suscité l’inquiétude ou la révolte "sociale" (directive sur les services, sur la libéralisation des transports, révision laxiste de la directive sur le temps de travail) méritent bien une mobilisation conséquente. Celle-ci ne sera cependant qu’un défoulement momentané sans efficacité si un débat de fond n’est pas ouvert sur le modèle social européen, sa compatibilité avec les formes d’activité économique et de modes de vie actuels, en se donnant toute liberté de considérer que le modèle d’activité économique et les modes de vie qui en résultent nécessitent des efforts de réformes tout autant que le modèle social.

Ce débat devra envisager la définition de nouveaux objectifs pour la définition des règles du marché intérieur. Il devra prendre en compte également les motivations légitimes de certaines dispositions des textes ou les crises dans des fonctionnements antérieurs des services publics qui expliquent qu’on ait pu en venir à des propositions de ce type. Un moratoire ouvrant un temps de réflexion pourrait être la démarche la plus adéquate, à condition bien sûr que le débat y soit effectivement ouvert, qu’on ne considère pas le moratoire comme celui qui a été mis en place pour les autorisations de mise sur le marché des OGM qui n’a été qu’un simple "moment à passer" en attendant la reprise de politiques inchangées. Il ne suffit pas en l’occurrence d’arrêter de nuire, il faut agir.

8. Une limitation du nombre de directives et règlements que la Commission peut proposer par an et des exigences de qualité du débat préparatoire pour chacune

Un des éléments qui nuit le plus à la démocratie européenne est le fait que le parlement européen soit obligé de se prononcer (en particulier dans des domaines complexes comme le marché intérieur, l’industrie, les transports, l’énergie, certaines dispositions concernant l’environnement) sur une multitude de textes complexes, produits de l’influence de divers lobbies et empaquetés dans des jargons qui en rendent très opaques les effets possibles. L’instruction de ces textes se fait en général dans des conditions d’urgence, et ne permet de mobiliser que très peu de députés sur le fond du dossier. Les députés sont d’ailleurs insuffisamment soutenus par les unités d’études (malgré une récente réforme) et qui comme le service d’évaluation des choix scientifiques et techniques (STOA) sont mal outillés, manquent de personnel et de l’autonomie nécessaire pour fournir une véritable expertise. Le progrès doit venir aussi de l’amont.

Une limitation du nombre de textes législatifs s’impose pour permettre un débat véritable qui doit être lancé en amont par des exercices de démocratie participative et de débat public ouvert pendant les phases de préparation de la législation. Le parlement est en mesure de l’imposer s’il en a la volonté, puisque l’article 251 du traité ne lui impose pas de délai pour sa première lecture dans tous les cas relevant de la codécision. Il faudra pour cela qu’il se discipline lui-même assez en ce qui concerne la dispersion de ses forces (notamment sur des résolutions aux visées honorables mais sans aucun effet). Il faudra également qu’il nettoie ses propres écuries, les conflits d’intérêts qui ont entouré le traitement de certains textes étant peu reluisants.

Philippe Aigrain


Commentaires de Guillaume Durand

Les perspectives financières sont un sujet bien attristant. La présidence luxembourgeoise se démène aujourd’hui pour obtenir un accord à tout prix et prouver que l’Europe à 25 "bouge encore".

Ce serait regrettable si le prix à payer était élevé mais je pense que ce ne sera même pas le cas. En crédits de paiements, la Commission a en fait proposé 1.15% et les Etats membres pingres (6 auxquels s’est récemment joint... la Pologne, incompréhensible mais vrai) 1%. Le compromis final sera quelque part au milieu, tout le monde le sait, le débat se joue donc quelque part entre 1.05% et 1.08%, c’est triste mais je ne vois, à ce stade, plus aucun moyen de sortir de ce cadre étriqué.

Que faire ?

-  dénoncer ceux qui prétendent avoir une ambition européenne (surtout Blair qui se pose aujourd’hui en leader européen - Chirac et Schröder aussi, bien sûr) mais refusent de profiter même des économies d’échelle les plus évidentes (recherche, même si c’est compliqué, et on ne peut évacuer la question des dépenses militaires)

-  proposer une perspective de moyen terme réaliste - je partage tes préventions contre les investissements dans les infrastructures. On peut penser à une sorte de "collectif budgétaire" ou bien une véritable révision à mi-parcours, ou bien travailler pour les prochaines perspectives (mais ça,c’est un peu décourageant, je le reconnais).

Autres sujets à creuser :

* Le financement réellement autonome de l’Union (ressources propres) est le meilleur moyen de sortir du débat stérile sur les "contributions nettes", un concept d’une rare inanité qu’il faut combattre sans relâche. Pour un argumentaire complet, voir par exemple les pages 7 à 11 de ce papier : http://www.ifeurope.org/TEWN/...

* Le budget agricole est une vraie question (son niveau). Le cofinancement est pour le moment limité aux politiques structurelles mais celles-ci ne sont qu’une goutte d’eau face aux aides "à la surface" (elles seront aussi les victimes des coupes budgétaires). Vraie question aussi sur sa répartition, que tu soulignes à juste titre. Enormément de paysans ne voient jamais la couleur de l’argent européen ; des domaines entiers sont très peu régulés.

* Politiques "structurelles" : que met-on là-dedans ? Est-on dans la solidarité pure ? Que doit financer cette solidarité ? Quels biens publics ? Comment faire en sorte qu’ils répondent à une demande locale, etc.

* La recherche : tu en sais plus que moi là-dessus. Les réticences face à une montée en puissance de l’Union sont très compréhensibles compte tenu du fonctionnement des programmes européens mais c’est à l’évidence un domaine où il y a beaucoup à faire (quid du débat excellence vs. intégration de la recherche dans l’aménagement du territoire ?)

* Le débat de très long terme (Moulier-Boutang). Il faut le mener. Je penche plutôt pour une option intermédiaire : ni Etat providence européen (15-20% PIB), ni situation actuelle, mais un budget autonome qui donne les moyens de politiques publiques fortes (entre 5 et 10% PIB ?), y compris contracycliques, avec mécanismes de réserves.

* L’investissement public en Europe est beaucoup soutenu par la BEI. Il n’est donc pas tout à fait vrai, en pratique, que l’UE n’a pas le droit de s’endetter. La Banque, elle, s’endette. Aujourd’hui, elle n’a pas, me semble-t-il, de direction très claire (Lipietz a été plusieurs fois rapporteur du PE sur ce sujet).

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Le : 30.11.2005
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