Plus de 7O participants, parmi lesquels des militants associatifs et syndicalistes, et de très nombreux élus - conseillers municipaux , conseillers généraux ou régionaux, avec ou sans mandat exécutif- ont réfléchi, à partir de leur propre expérience, sur les implications découlant de l’adoption en août 2004 de la nouvelle loi de décentralisation et, au printemps 2005, de la loi Fillon ( portant, entre autres mesures régressives définition du
« socle commun de connaissances » ) ainsi que de la loi Borloo avec le plan dit de « cohésion sociale ».
Plusieurs points ont rapidement fait l’accord des
participants :
a ) Toute problématique de transformation de l’école aujourd’hui est obligée - c’est une condition de crédibilité - de s’interroger sur le rôle des collectivités, qui partagent d’importantes responsabilités avec l’état dans la conduite du système : financement de l’immobilier et du
fonctionnement ( y compris pédagogique ) des établissements ; financement de nombreuses actions « complémentaires » à caractère social, pédagogique, culturel... parfois à la limites des compétences dévolues par la loi.
b ) Ce faisant, nous ne remettons aucunement en cause le principe de décentralisation. Ainsi, par exemple, la loi de 1985 a eu des effets très positifs pour la remise en état - qui n’est d’ailleurs toujours pas partout achevée - du patrimoine immobilier scolaire du second degré, permettant aux élèves de suivre leur scolarité dans des locaux décents. Mais nous remettons en cause la « décentralisation Raffarin » consistant pour l’essentiel en un transfert de charges et de responsabilités de gestion destiné à faciliter l’externalisation de certaines des missions traditionnelles du service public assurées par des personnels de l’état vers le secteur marchand, conformément aux orientations tracées
au niveau de l’AGCS. ( ex. des TOS unanimement dénoncé ).
Pour autant, il apparaît nécessaire, afin de ne pas fausser l’analyse, de ne pas magnifier le passé : la gestion centralisée au niveau de l’état n’a jamais été gage d’égalité et de justice ; Les lycées de centre ville avaient de bien meilleures conditions de travail que les lycées de la banlieue et une enquête récente du SNUIPP a bien montré les différences d’investissement par élève d’une commune à
l’autre dans le premier degré, en fonction des possibilités financières de chacune, mais aussi de choix idéologiques locaux.
Enfin, la prise en charge de certaines missions au niveau des collectivités ne signifie pas nécessairement privatisation : Les administrations locales, départementales et régionales relèvent, elles aussi, du service public et si les pressions
politico-financières à ce niveau sont souvent plus visibles qu’au plan national, la plus grande proximité peut aussi permettre des mobilisations plus efficaces auprès des pouvoirs publics locaux .
La véritable question est donc pour les militants progressistes de bien déterminer ce qui est du ressort de la responsabilité publique nationale d’une part, et ce que le local peut apporter en plus et /ou en mieux d’autre part, en évitant -autant que faire se peut - de tomber dans les pièges de la contractualisation de ce qui relève des missions générales de l’état ( car un contrat, ça se négocie entre partenaires égaux, et ça peut aussi s’annuler )
. C’est toute la notion des « complémentarités positives » en même temps que celle des spécificités de l’école ( notamment par rapport aux activités péri-scolaires ) qui est à réfléchir.
c ) Il est de fait que telle ou telle décision adoptée par une collectivité, si elle n’est pas rapidement mise en oeuvre par les autres de même niveau sur le territoire national peut engendrer un accroissement des inégalités entre les jeunes au
plan national. La solution à ce problème bien réel n’est pas dans le refus de toute initiative par les collectivités qui le peuvent, mais au contraire dans la nécessité de mener des batailles collectives pour que les mesures positives adoptées ici puissent être adoptées partout. Ainsi, plus de la moitié des régions financent aujourd’hui les manuels scolaires
pour les lycéens, d’autres ne le souhaitent pas ou ne le peuvent pas : il s’agit pourtant là d’une mesure tendant à instaurer une véritable gratuité des études, à généraliser (même si les modalités de mise en oeuvre de ce principe sont diverses et parfois discutables ), quitte à développer des
coopérations inter-régions et/ou à imposer la création d’un fonds national de lutte contre les inégalités - en particulier géographiques - comme le préconise notre projet communiste « Pour une école de l’égalité, de la justice et de la réussite pour tous » afin que le financement soit partout rendu possible.
Il est donc essentiel de ne pas se laisser enfermer dans les logiques de casse du service public impulsées par le gouvernement, de réinventer des outils pour penser les contradictions nouvelles, de ne pas « faire du local » chacun dans son coin, mais de décliner sur le plan local avec la participation active des citoyens des orientations politiques
définies nationalement par les forces de progrès.
C’est tout le sens de notre réflexion aujourd’hui, qui ne fait que commencer pour ce qui concerne le système éducatif.
Trois points principaux ont émergé de cette discussion :
1 - concernant l’analyse des dispositions nouvelles mises en oeuvre par ces lois :
L’adoption des lois Fillon et Borloo marque sans doute une rupture qualitative par rapport au passé. La définition du « socle commun de connaissances » relevant de la responsabilité de l’état et faisant l’objet d’une sanction par un diplôme à l’issue de la scolarité obligatoire ( le Brevet des collèges ) laisse présager le transfert d’autres enseignements aux collectivités ( le cas de l’EPS, des Enseignements artistiques et de la technologie est le plus évident pour l’instant, mais rien ne dit que la droite s’en arrêtera là ), ou à des associations ( le projet de la Ligue de l’Enseignement se place d’ores et déjà comme prestataire de services éducatifs dans ce créneau espéré, mêlant allégrement enseignements scolaires et dispositifs éducatifs de caractère périscolaires ). Le transfert du traitement de l’échec
scolaire à des « équipes de réussite éducative », dispositifs prévus par le plan Borloo dit de « cohésion sociale », placés hors de l’école, sous la responsabilité du maire, développant des stratégies individualisées de remédiation et privilégiant
l’extension de l’apprentissage comme mode de prise en charge des élèves en difficulté vient accentuer la crédibilité de cette perspective.
Tous ces dispositifs sont fondés sur une individualisation à outrance du diagnostic d’échec scolaire renvoyé à des causes extérieures à l’école ( l’enfant, ses origines sociales, sa famille ), et à un traitement tout aussi individualisé ( des équipes pluri-disciplinaires de professionnels issus du milieu associatif local en liaison avec la politique de la
ville ), alors que toutes les recherches montrent que les apprentissages sont le fruit de relations sociales
collectives. Ainsi se met en place progressivement un système éducatif global régionalisé.
Cette démarche entre en convergence avec d’autres aspects de la politique gouvernementale mise en place par ailleurs ( privatisations... ). La prise en compte dans nos analyses et nos propositions de la dimension idéologique de casse des politiques publiques collectives à tous les niveaux de l’organisation sociale héritée de la Libération est donc essentielle. Il s’agit bien d’un changement de nature de la politique de l’état en matière éducative contribuant au projet plus vaste de remodelage idéologique et structurel de la société par la jeunesse et par l’école, qui oblige
aujourd’hui les élus progressistes à repenser leur rôle.
2 -concernant les actions mises en oeuvre par les collectivités :
Comme le soulignait un intervenant, « les collectivités mettent en oeuvre plus ou moins consciemment des dispositifs qui nourrissent la politique du gouvernement, conçue pour détruire pièce par pièce le service public national d’éducation », appréciation que l’on peut illustrer par un exemple particulièrement spectaculaire : le développement à marches forcées de l’apprentissage conformément au plan Borloo :
L’histoire de ce pays a une originalité : c’est d’avoir mis en système la formation professionnelle ( y compris la formation continue avec les GRETA ) et l’éducation autour du service public, c’est à dire avec une conception fortement développée de l’intérêt général, tant pour les jeunes que pour l’économie nationale, avec des logiques propres. Or les lois de décentralisation de 1985 ont fait que les régions ont hérité de ce système, malmené par la politique de sous investissement de l’état dans les lycées professionnels, la dévalorisation du travail manuel dans les classes populaires et le recours systématique à l’orientation vers la voie professionnelle et, complémentairement, vers l’apprentissage comme recours en cas d’échec scolaire. Compte tenu de la situation de l’emploi et de la volonté gouvernementale de désengager le service public de cette responsabilité au bénéfice de l’apprentissage patronal, la question posée aujourd’hui est donc de savoir si la décentralisation peut être un outil pour renforcer le service public et lui faire franchir une nouvelle étape de modernisation, ou bien si elle sera un outil pour le détruire et transférer toujours plus de formation professionnelle vers des centres privés, agréés par le patronat qui y maîtrise mieux des contenus de formation plus adaptés à ses besoins immédiats d’ « employabilité » et de flexibilité des travailleurs.
Le service public a en effet l’ « inconvénient » de mieux résister aux logiques patronales, en mettant par exemple l’accent sur la culture générale dans la formation professionnelle, permettant par là même les adaptations et reconversions ultérieures éventuellement nécessaires. Or la plupart des régions, en s’engouffrant aujourd’hui dans la
politique consistant à favoriser l’apprentissage patronal - nécessairement au détriment de l’enseignement initial de service public, car les budgets ne sont pas extensibles à l’infini - vont dans un sens qui favorise objectivement les projets du gouvernement et du patronat.
D’autres situations pourraient être analysées de la même manière, concernant certains dispositifs de Contrats Educatifs Locaux par exemple. Dans chaque cas, il semble nécessaire de procéder à un examen attentif des problèmes afin de ne pas tomber dans le piège de positionnements qui, à
partir de positions généreuses censées apporter des réponses concrètes et immédiates à des problèmes réels, vont dans le sens d’un accompagnement de la politique néo-libérale du
gouvernement.
3 ) - Concernant le rôle des élus progressistes dans ce contexte :
a ) plusieurs camarades ont souligné que les élus agissent dans le cadre de la loi qui, quoi qu’on pense par ailleurs de son contenu, s’impose à tous. Ainsi, pour ce qui concerne la prise en charge des personnels TOS par les collectivités à partir de janvier 2006, il paraît évident que ce transfert ne
pourra être mis en échec que si les TOS eux mêmes le refusent.
Pour autant, les élus progressistes peuvent être des forces de résistance - par exemple, à la tentation de sous traiter l’entretien des établissements ou la restauration scolaire à des entreprises privées - pour empêcher que ne s’enkystent les politiques de la droite et pour trouver des solutions alternatives sur nombre de questions posées.
b ) Au delà des positions de principe, la confrontation au réel est incontournable : les attentes de ceux qui vous ont élu, mais aussi les rapports de forces réels, tant par rapport au gouvernement qu’au sein même des majorités de
gestion des collectivités posent des problèmes difficiles au quotidien car il s’agit le plus souvent de « gérer l’urgence ». Mais cela ne saurait exonérer personne d’un retour sur les questions fondamentales qui, selon les réponses qu’on y
apporte, font la différence entre les élus de progrès et les autres :
quelle place pour le service public et qu’est-ce qu’une politique publique et globale d’éducation ?
quelles complémentarités état/collectivités et quelle place pour l’associatif dans le système éducatif ?
Peut-on concevoir un état garant de l’unicité du système éducatif, de ses contenus d’enseignement, de la formation des personnels qui concourent à la mise en oeuvre de ses missions et de son mode de fonctionnement sur l’ensemble du territoire national avec des collectivités territoriales en charge de
responsabilité de mise en oeuvre et les assumant sur la base d’objectifs partagés, librement négociés avec l’état ?
Plus largement, Comment faire pour être des pôles de résistance à cette politique de casse du service public ? Comment, dans l’exercice même des responsabilités d’élu, travailler au rassemblement le plus large pour une véritable
alternative politique, quelle contre offensive on contribue à organiser avec les premiers intéressés eux mêmes ( parents, enseignants et autres personnels, élèves... ) ouvrant des perspectives crédibles pour la mise en oeuvre des propositions novatrices dont nous sommes porteurs ?
A l’inverse de toute stratégie de délégation de pouvoir, seule l’élaboration collective permanente des solutions envisagées avec les acteurs de terrain permet d’apporter à ces questions des réponses constructives et non piégées sur le plus long terme.
Ces questionnements sont naturellement à croiser avec ceux provenant des autres domaines qui font l’activité des élus au quotidien : politique sociale d’aide aux plus défavorisés, de la ville, du logement, de la santé, ...mais concernant les
problèmes spécifiques au système éducatif, le Parti
Communiste est aujourd’hui porteur d’orientations et d’un certain nombre de propositions concrètes à travers son « projet communiste pour une école de l’égalité, de la justice et de la réussite scolaire de tous » ainsi que la proposition de loi déposée au printemps dernier par les parlementaires
communistes et associés en alternative au projet Fillon , propositions que nous soumettons à la réflexion critique de tous.
Car il s’agit bien ici, dans notre esprit, de la contribution communiste à un débat nécessaire visant à élaborer, avec tous nos partenaires potentiels et avant tout les premiers intéressés ( jeunes, parents, personnels de l’école,
syndicalistes, associations... ) des propositions unitaires et opératoires dans le cadre d’une véritable alternative politique.
La lettre du réseau école - N°29, novembre 2005