Participer Nouveautés Agenda Contributions Sur le net

Les Alternatifs

MONDIALISATION ET ETAT POLICIER : Un capitalisme de plus en plus autoritaire

Contribution

Les mutations économiques et sociales qu’entraîne la mondialisation conduisent à des transformations politiques et institutionnelles profondes. Le maintien de l’ordre ou plus précisément l’instauration d’un nouvel ordre national et mondial, devient la fonction première des Etats.

La comparaison avec le fascisme vient facilement à l’esprit, mais c’est d’autre chose dont il s’agit. Les peuples sont menacés de nouvelles formes de dominations, de tyrannies, de guerre.

La mondialisation du Capital se traduit, en effet, par de graves régressions des droits politiques et sociaux. Cette mondialisation et ses excès financiers conduisent à une mise en concurrence directe et exacerbée des travailleurs du monde entier. De ce fait, le système durcit ses modes de domination. Cette détérioration des rapports sociaux, encadrée et même très souvent amplifiée, par les institutions, débouche sur une profonde crise de société. L’organisation sociale, les représentations collectives, issues du siècle dernier, se défont. La précarisation, la marginalisation de pans entiers de nos sociétés ont pour conséquence le repli sur des comportements individualistes, sur des consommations compensatoires voire ostentatoires. Les effets de cette précarisation et marginalisation sont renforcés par l’absence d’une vision claire et crédible des changements radicaux qu’appellent les mutations actuelles. Dans ces conditions, le délitement des formes antérieures de sociabilité, des liens sociaux, favorise le retour de l’irrationnel, la montée des mysticismes, des fondamentalismes, des racismes. Ces identités de substitution servent ainsi de justification à la mise en place d’un appareil sophistiqué de surveillance et de répression, national et mondial, par ailleurs très utile au maintien de l’ordre.

Sous cet angle une comparaison entre Bush-Sarkozy est instructive. Ni l’un, ni l’autre ne tentent de dissimuler que le compromis keynésien est fini[1]. Sans état d’âme, ils favorisent la réduction ou en tout cas la stagnation du niveau de vie du plus grand nombre ; ils mettent à mal les dispositifs de protection sanitaire et sociale. Dans le même temps ils multiplient les cadeaux fiscaux pour les possédants et les aides financières ou politiques aux trusts. Cela ne manque pas de se traduire par des révoltes ou des incivilités, dès lors on accroît la rigueur des tribunaux, on ouvre de nouvelles prisons. Il faut que les nouvelles « classes dangereuses » se tiennent à leur place dans les ghettos qui leur sont affectés. Il ne suffit pas à la droite dite libérale de criminaliser la pauvreté, il lui faut aussi la stigmatiser. Et là il faut reconnaître que la couleur de la peau, le nom ou l’accent sont des signes bien utiles pour que ce sous-prolétariat soit facilement identifié, par la police, la justice, le patronat et ... les imbéciles. La manœuvre est parfaite lorsque les circonstances historiques ou politiques leur permettent de désigner un ennemi d’autant plus inquiétant qu’il serait omniprésent. Ce fût, en d’autres temps, la criminelle stigmatisation des juifs ; n’est-ce pas aujourd’hui la tentation de l’illuminé qui siége à Washington à l’encontre des musulmans, arabes notamment ? Les milieux populaires, conscients des manipulations des règles démocratiques, la légitimité des institutions et des gouvernements est remise en cause. Un consensus relatif peut se constituer autour du drapeau en opposant le « eux » et le « nous »

Sarkozy se distinguerait-il ici de l’exemple états-unien ? N’a-t-il pas favorisé, comme bien d’autres ministres de l’intérieur avant lui, l’organisation et la francisation du culte musulman ? C’est là une vieille méthode de police ; mieux vaut reconnaître et encadrer certains groupes hétérodoxes que d’ignorer leurs pratiques. Mais cette politique doit être replacée dans une tentative plus générale : « réformer » les lois sur la laïcité, dialoguer avec les églises - voire les instrumentaliser -, leur donner une fonction accrue de « corps intermédiaire », et ainsi conforter leur capacité d’encadrement social. Sarkozy ne va pas jusqu’à ouvrir ou clore ses discours en se référant à un dieu, mais il donne une importance croissante aux « valeurs » dans lesquelles les couches les plus traditionalistes peuvent se reconnaître. Ceci s’inscrit dans une politique répressive globale, comme l’illustre sa réponse aux révoltes des banlieues.

Le discours et les mesures qui l’illustrent tentent ainsi de trouver une solution - provisoire n’en doutons pas - à la crise de la démocratie représentative, à la tendance de réduction de la base sociale de ces régimes (la paysannerie et.le petit commerce en France, sous la IIIè et la IVè République). Dans leur majorité ces couches moyennes étaient attachées à la propriété et hostiles aux grèves et autres troubles. Dans la nouvelle phase du capitalisme, l’échiquier social s’est profondément transformé. Dans la grande bourgeoisie, les financiers ont complètement supplanté les industriels mais pour tous, l’aréne est mondiale. Entre cette sphère sans ancrage territorial et les bourgeoisies autochtones, les contacts se distendent et les intérêts souvent divergent. La première prône la libéralisation à tout crin quand les secondes veulent se protéger. Certains, politiciens ou sociologues, ont cru à la formation d’une nouvelle classe moyenne minorant le poids de la classe ouvrière et garantissant ainsi la stabilité des institutions politiques. Or, si les métiers ont changé, les ouvriers et les employés n’ont nullement disparu. La grande différence avec le passé c’est l’émergence de nouvelles couches intermédiaires regroupant un ensemble de métiers très divers, exigeant tous une maîtrise technique. Ces nouvelles couches, salariées, sont sensibles aux contradictions sociétales ou écologiques, quelquefois révoltées mais pas révolutionnaires, anti-libérales plus qu’anticapitalistes. Mais la rencontre et le développement de contestations multiples peut conduire à leur radicalisation si émerge un projet de transformation radicale.

La coalition de toutes les forces bourgeoises dans un projet plus réactionnaire que conservateur est alors la seule réponse compatible avec le maintien de la démocratie parlementaire, mais c’est une démocratie de plus en plus formelle. La prédominance des pouvoirs économiques- capitalistes-, l’internationalisation des institutions politiques, rendent de plus en plus illusoires les travaux et les décisions des assemblées représentatives. Comme chacun le sait maintenant, les débats des conseils d’administration des multinationales, des clubs où ils se retrouvent, surdéterminent bien souvent ceux des Parlements. Et ce sont des instances internationales (OMC, FMI ...), publiques ou même privées (Agences de normalisation ...), qui assurent la mise en forme légale ou contractuelle de leurs décisions. Les parlements et les partis, ne sont plus les lieux principaux où se confrontent et s’organisent les intérêts des couches et des classes sociales. La désaffection de l’électorat ne fait qu’entériner cette perte de substance de la démocratie de représentation.

Gouvernements et appareils d’Etat, non sans raisons, s’inquiètent de la délégitimation progressive qu’ils subissent. En France, De Gaulle, en associant nationalisme et paternalisme avait su redonner une assise large à des institutions menacées. La recette ne fonctionne plus. Villepin, Juppé et plus encore Sarkozy se font donc les champions d’une contre-réforme vigoureuse.
Ils peuvent ainsi satisfaire les grandes entreprises qui veulent constamment accroître leurs marges bénéficiaires et les petits patrons qui ne peuvent se maintenir qu’en pressurant les salariés. En y ajoutant quelques spéculateurs, une partie des couches populaire nostalgiques de la puissance nationale et coloniale, il y aurait de quoi assurer une majorité à la droite et porter au pouvoir des hommes à poigne. Il y a pourtant bien des obstacles sur ce chemin.

Nous sommes entrés en France dans une situation curieuse. Une campagne électorale s’ouvre. Le meilleur argument du Parti Socialiste c’est la politique actuelle de la droite. Mais réciproquement le meilleur argument de cette droite est la politique passée de cette gauche ! Sans préjuger ici des réponses et des pratiques que devraient adopter les forces alternatives, cette situation conduit néanmoins à avancer trois axes de réflexion.

-  Le développement du mouvement altermondialiste constitue un nouveau moment du processus de déconstruction - reconstruction des forces sociales et des institutions politiques. Ce mouvement nous enseigne qu’il ne suffit pas d’« aller du local au global ». Cette pratique défensive a nourri la résistance et permis le développement de la critique et de la contestation.
Se voulant concrète et immédiate elle est souvent tombée dans le minimalisme.
Elle n’a pas évité l’intégration au marché, ni troublé les équilibres majeurs du système. Il faut constamment associer « le local et le global ». Nos initiatives, nos perspectives sont dépendantes de et renforcées par ce qui se passe en particulier à Porto Alegre et à Mumbaï, au Chiapas et au Venezuela. Les manifestations contre l’agression états-unienne en Irak ont eu une dimension mondiale sans précédent. Cette dynamique est une condition majeure de la mise en cause du capitalisme mondialisé.

-  La démocratie active dans ses formes et ses contenus divers, appelle nos initiatives, notre présence, notre soutien. Quand les grévistes et les chômeurs, les intermittents du spectacle et les chercheurs, les assistantes sociales confrontent leurs aspirations et leurs savoirs même dans un cadre catégoriel, quand des villageois se mobilisent pour maintenir des services publics, il s’esquisse et s’expérimente une nouvelle culture démocratique. La contestation peut alors devenir proposition.

-  Dans la reconstruction qui s’ébauche, l’alliance des salariés manuels et intellectuels, mais aussi des précaires et des exclus est impérative, tant pour des raisons de fond que de rapport de force. Il faut notamment, de façon volontariste, retrouver ceux-ci dans les mouvements sociaux, mais aussi localement dans les espaces de contre-pouvoir et de solidarité. On ne peut pas pour cette reconstruction, s’en remettre aux partis de gauche. On ne peut pas non plus faire l’impasse sur ce qu’ils représentent pour ceux et celles qu’il faut rassembler.

LES ALTERNATIFS

[1] Il s’agit d’un compromis implicite entre le patronat, les salariés et l’état aboutissant entre autres à un meilleur niveau de salaire et de conditions de travail, ainsi qu’à un élargissement des droits politiques et syndicaux.


Le : 21.11.2005
Imprimer Envoyer