« Vous avez pris la parole, gardez-la ! »
Dans les cités populaires tous les signaux sont au rouge depuis déjà plusieurs mois. Tous ceux qui s’intéressent
à la situation sociale constataient qu’il y avait un grand énervement, des situations ressenties comme dangereuses, certains disaient : tout est en place, il n’y a plus qu’à allumer la mèche.
La mort stupide de deux adolescents à Clichy-sous-Bois a suffi à mettre le feu aux poudres. Pourquoi cette situation ? Et pourquoi aujourd’hui ?
Depuis quelques années, on constate une paupérisation accrue des couches populaires les plus défavorisées et, dans ces couches, les plus fragiles sont les jeunes, particulièrement ceux qui n’ont pas eu une scolarité très orthodoxe et très complète. Les subventions à caractère social sont chaque année depuis trois ou quatre ans systématiquement rognées, diminuées, nous avons en règle générale nettement moins de soutien de l’État et des collectivités publiques que nous n’en recevions en 2000-2001.
Dans l’association que j’anime, nous avions une auto-école associative, nous offrions aux jeunes résidents et aux jeunes du quartier (quartier défavorisé s’il en est !) la possibilité de passer le permis de conduire pour 40 % moins cher que dans une auto-école commerciale.
La subvention payée par la préfecture nous a été supprimée. Nous avons dû fermer l’auto-école. Dans une réunion à laquelle je participais, début octobre, aussi bien
les forces de police que les associations étaient d’accord pour dire que la situation était très délicate. Les associations, unanimes, ont toutes fait état d’une diminution drastique de leurs possibilités d’action.
Pour ne prendre qu’une situation que je connais un peu, celle d’Argenteuil, tout le monde sait qu’une situation sociale assez paisible est maintenue depuis des décennies parce qu’il y a un maillage social très important qui déploie un accompagnement social, éducatif, sportif, culturel important des jeunes des quartiers défavorisés. Il faut dire également que dans nos villes, la mienne en tout cas, le logement social diminue. Des plans de destruction de ces types de logements sont programmés et les remplacements ne couvrent que 40 % des disparitions.
Il n’y a pas assez (et c’est une litote) de logements pour les jeunes qui arrivent dans la vie active et sont désireux de fonder un foyer. Qui plus est, une forme de racisme est en train de renaître. Aller chercher un logement ou un travail si on est noir ou si on est maghrébin relève de la gageure. Si l’ont veut régler - ou du moins atténuer - la situation actuelle, il faut prendre quelques mesures d’urgence.
Il ne sert à rien, comme l’a fait le 5 novembre, le président de la République, de proclamer que force doit rester à la loi. Ni même de tenter de séduire les jeunes avec des mots gentils sans rien changer au fond. De même, est-il complètement inutile de rouler des mécaniques entouré de quelques centaines de CRS, comme le fait si bien le ministre de l’Intérieur.
Il faut adresser aux jeunes des paroles de paix, il faut leur dire haut et fort que la société comprend leur désespoir
et est décidée - sérieusement - à y apporter remède.
De toute urgence, il faut débloquer des capitaux pour redonner des moyens aux associations sociales qui oeuvrent dans les quartiers sensibles afin qu’elles déploient et redéploient leurs animateurs, il faut mettre en place dans toutes les villes ce type d’associations et donner aux gens qui se préoccupent d’action sociale les moyens de la mener à bien.
Par ailleurs - et là aussi il y a urgence -, il faut créer des logements sociaux. Donner aux jeunes les moyens de se loger et de pouvoir démarrer avec dignité dans leur vie d’adulte. Il faut offrir des formations aux adolescents et leur donner les moyens de trouver du travail. Au troisième millénaire, le travail, l’action de produire des valeurs, reste l’apanage des hommes qui seuls sont aptes à dominer la nature et produire ce dont ils ont besoin pour consommer. Pour cela, ce sont plusieurs dizaines - voire centaines sur quelques années - de milliards d’euros qu’il faut débloquer et injecter dans la société.
Ces jeunes, qui aujourd’hui se sentent rejetés, humiliés, méprisés, n’ont pas comme les classes ouvrières de nos grands pays développés une culture de la lutte par la grève, par la pétition, par les petites et les grandes manifestations... Leur façon à eux de manifester, ce sont ces troubles qui agitent nos banlieues toutes les nuits, ce sont les voitures et les autobus qui brûlent, ce sont les affrontements avec les forces de police, y compris avec les pompiers, là il y a les télés, les radios, les médias en tous genres, là ils existent, on parle d’eux.
Et même ils font peur. La psychologie nous enseigne que nous n’existons essentiellement que par le reflet que nous renvoie l’oeil de la personne qui est en face de nous. Et bien aujourd’hui, ces modernes damnés de la terre existent !
Au moment où les riches sont plus riches, où la Bourse a des progressions impressionnantes, où les patrons du CAC 40 affichent insolemment des fortunes époustouflantes, il faut aujourd’hui mieux répartir les richesses produites. C’est un impératif incontournable. Messieurs les riches, si vous ne comprenez pas que vous devez aujourd’hui partager un peu - et même un peu plus - vos comptes en banque, c’est que, si vous êtes apparemment de bons gestionnaires, vous êtes de biens piètres psychologues. Mais je pense que dans vos rangs vous devez bien compter quelques penseurs qui comprendront ce message et vous le transmettront avec des mots qui vous sont plus familiers.
Car, vous savez, de la banlieue à Passy, les distances ne sont pas si longues qu’elles ne puissent un jour, ou une nuit, êtres franchies.