L’ouverture des négociations avec la Turquie en vue de son adhésion à l’Union européenne provoque des débats qui renvoient à la conception même de l’Europe : quel sens doit-on donner à cette Union ? Quel avenir voulons-nous lui construire ?
Le Parti communiste français milite pour une communauté solidaire des peuples européens, une Europe mobilisée pour le progrès social, la démocratie, les droits de la personne humaine, le développement soutenable, l’ouverture au monde, la paix.
C’est pourquoi nous rejetons avec indignation certains des arguments avancés pour s’opposer à cette adhésion, qui spéculent sur la peur et la stigmatisation de l’« autre ». Ils sont offensants pour le peuple turc et ils le sont aussi pour le peuple français, par l’image qu’ils en donnent. Ils sont surtout dangereux, car ils nourrissent à leur manière les thèses pernicieuses d’une humanité qui serait déchirée non pas par les ravages du capitalisme mondialisé et militarisé, mais par un prétendu « choc des civilisations », des nationalismes et des intégrismes.
Toute opposition « par principe » à l’adhésion de la Turquie - parce que c’est la Turquie... - est irrecevable.
Mais, pour envisager qu’un avenir commun à l’Europe et à la Turquie se construise dans l’intérêt des peuples de l’Union européenne et dans l’intérêt du peuple turc, il y a des conditions à créer. Il y a des exigences à faire prévaloir - vis-à-vis de l’Europe et vis-à-vis de la Turquie.
Il faut satisfaire les exigences en termes de démocratie et de droits sociaux portées par le peuple turc, par ses salarié-e-s, par l’ensemble des progressistes et des démocrates de Turquie et du Kurdistan de Turquie qui aspirent à un véritable Etat de droit, garantissant l’exercice des droits politiques, sociaux et culturels de toutes et de tous. Ces forces, dans cet esprit, mettent beaucoup d’espoir dans la perspective d’une adhésion future, en constatant que cette perspective permet de nourrir un processus de démocratisation concrétisé par des réformes institutionnelles déjà effectuées.
En même temps, elles mettent légitimement l’accent sur le chemin qui reste à parcourir pour extirper définitivement la torture, pour réduire le poids des militaires, pour une justice véritable, un Etat de droit stable et respecté, pour l’égalité des hommes et des femmes. La négociation qui va pouvoir s’engager doit impérativement permettre des avancées décisives dans tous ces domaines, accompagnées de leurs garanties, et révéler également une disponibilité nouvelle de l’Etat turc quant au règlement de la question chypriote sur la base du droit international et quant à la reconnaissance du génocide arménien.
Et ces exigences de transformations profondes s’adressent aussi à l’Union européenne. Ses institutions et ses politiques, que le projet de Constitution prétend rendre irréversibles, ont mis en place une véritable dictature des marchés financiers. Mise en concurrence des salariés et des peuples, précarisation de la vie, délocalisations, pressions continues sur les salaires et les droits sociaux, casse des services publics, fermeture au reste du monde, atlantisme... Tel est le « modèle » qu’on prétend imposer à la Turquie, au détriment de l’avenir de son peuple. Déjà, le ministre turc des finances annonce que les réformes économiques en cours, menées avec le FMI, permettront à son pays de respecter dans cinq ans les critères de Maastricht : « Nous représenterons une alternative particulièrement séduisante pour les candidats à la délocalisation », indique-t-il... Et la Commission européenne évoque le rôle militaire que la Turquie pourrait jouer demain dans le cadre de la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune) et celui de tampon bloquant les demandeurs d’asile...
L’Europe a besoin de changer en profondeur, pour que ses institutions politiques et financières favorisent et non interdisent l’intervention des peuples, des salarié-e-s, des citoyen-ne-s ; pour que de grandes réformes, telles une sécurité d’emploi ou de formation et de revenus, l’harmonisation des législations sociales par le haut, le déploiement des services publics permettent de lutter contre les fléaux que sont le chômage, la pauvreté, la précarité ; pour étendre et garantir les droits fondamentaux dont doivent disposer ses citoyennes et citoyens ; pour que les peuples européens construisent ensemble des réponses de solidarité, de partage, de progrès commun aux problèmes qui leur sont posés et contribuent à un monde de coopération et de paix..
C’est de cela qu’il est question au travers du processus engagé avec la Turquie, avec le peuple turc : l’urgence d’un nouveau projet pour l’Europe, émancipée du libéralisme qui la plonge dans la crise, lui permettant de répondre aux attentes et aux espoirs de ses peuples et du monde.
Paris, le 14 octobre 2004